Économie circulaire et coopération culturelle transfrontalière de proximité

« L’art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté ». André Gide

Ce court article a été élaboré à l’issue de ma participation à la formation «Designer Circulaire 2023 – Parcours Écosystèmes» de Villette Makerz.

Présentation

Une personne sur trois vit actuellement dans une zone transfrontalière au sein de l’Union européenne. Et bien que la construction européenne ait depuis longtemps visé à atténuer les effets pernicieux de ses frontières nationales intérieures sur ces espaces d’interface – à travers la politique régionale et des fonds considérables pour promouvoir la coopération de proximité – de nombreux obstacles de nature politique, juridique, fonctionnelle, structurelle, sociale, culturelle ou linguistique subsistent.

Face à ces contraintes, nous nous sommes posé la question suivante: les démarches d’économie circulaire dans le domaine des arts et de la culture sont-elles fatalement confinées aux cadres nationaux des États qui se juxtaposent ? 

Notre recherche nous a permis de cerner les manifestations émergentes de cette relation au niveau transfrontalier – niche de niches! – et de déceler les signes avant-coureurs d’une évolution que nous appelons de nos voeux.

A. Enjeux de l’économie circulaire dans le cadre de la coopération culturelle transfrontalière de proximité

1. Intersections transfrontalières: culture et écologie pour des territoires d’avenir durables

Les apports de la coopération culturelle transfrontalière de proximité (CCTP) en matière de développement d’activités économiques, de cohésion sociale, de cohésion territoriale ou de l’environnement, entre autres, sont mis en évidence et confirmés depuis plus de vingt ans. Aussi semble-t-il naturel que le secteur culturel transfrontalier s’empare des enjeux de la durabilité selon une vision étendue comme celle présentée dans l’Agenda 21 de la Culture. 

Dans le contexte actuel de fortes tensions écologiques sans frontières, l’économie circulaire (EC) se fait jour partout dans l’Union européenne comme l’une des réponses adéquates pour mettre fin à l’économie linéaire « extraire – produire – consommer – jeter ». Même si elle est déclinée différemment dans chaque pays et selon les secteurs, une convergence européenne ne semble pas irréalisable à terme. 

Pour la France en particulier, à partir de la conceptualisation des trois domaines et des sept piliers de l’action de l’économie circulaire élaborée par l’agence de la transition écologique ADEME, l’association ORÉE a adapté ce socle aux problématiques propres au secteur de la création artistique et de la diffusion culturelle: 

  1. La sobriété et les achats durables
  2. L’éco-conception
  3. L’écologie culturelle et territoriale
  4. L’économie de la fonctionnalité
  5. L’allongement de la durée d’usage
  6. La gestion et sensibilisation des acteurs et des publics et la programmation engagée
  7. La valorisation et le recyclage

Et voici le schéma circulaire :

À la fois, passées au crible des circonstances transfrontalières, les principales activités concernées par cette approche peuvent être, entre autres:

  • la mobilité des publics et des professionnels;
  • le transport d’oeuvres;
  • l’utilisation de réserves et de ressourceries mutualisées;
  • l’approvisionnement en matériaux durables;
  • l’éco-conception des décors, des scénographies et de la signalétique;
  • la restauration alimentaire (approvisionnement durable, élimination du plastique à usage unique et valorisation des bio-déchets);
  • les actions de sensibilisation;
  • la valorisation et réhabilitation du patrimoine historique et naturel transfrontalier (sentiers, fortifications alpines…); 
  • la logistique et le tri autour des décors et des éléments de scénographie en fin de vie…

Les liens avec l’éducation, le tourisme durable et le sentiment d’appartenance à une communauté d’avenir éco-responsable sont aussi à souligner, outre la propre créativité induite par la relation entre culture, écologie, économie responsable et solidaire… à travers des réseaux de part et d’autre des frontières.

2. Obstacles et freins: prendre la tangente à l’économie circulaire?

Force est de constater que malgré le potentiel de la relation entre la CCTP et l’EC, sa concrétisation peut se heurter à de nombreuses entraves, virtuellement paralysantes. Au-delà du rôle « accessoire » par trop souvent accordé à la culture dans le cadre des politiques publiques, les freins découlent de déséquilibres économiques, distances culturelles et inadéquations institutionnelles liés aux évolutions historiques propres à chaque État et sont aggravés par une série d’absences : de volonté politique et d’administration ouverte sur le voisin; de moyens financiers adéquats; de moyens juridiques appropriés; de compétences locales et régionales comparables; de passerelles administratives eu égard à la diversité de ces compétences et à la structure territoriale de chaque État; de capacités linguistiques; entre autres. 

Les obstacles et les limites sont donc multiples et leur énumération peut certes apparaître préoccupante car ils posent les bases des défis majeurs de la coopération transfrontalière que ni les institutions d’État ni les cadres juridiques ne favorisent guère non plus. Par ailleurs, les obstacles rencontrent souvent leur source au niveau des autorités étatiques nationales, bien plus qu’à celui des autorités communautaires.

La crise de la pandémie de COVID-19 a également rappelé la force des droits nationaux, tout en confirmant des dynamiques locales de solidarité.

Enfin, il faut rappeler que beaucoup de projets de coopération transfrontalière ont pu éclore grâce à l’existence des fonds de cofinancement d’Interreg et que nombreux sont aussi ceux qui ne peuvent pas se pérenniser au-delà de la période ainsi financée, malgré la pertinence de leur éventuelle continuation.  

Mais ces obstacles et freins ne sont pas insurmontables. 

« Plus grand est l’obstacle, et plus grande est la gloire de le surmonter ». Molière

B. Synergies et émergence d’actions dans le domaine de l’économie circulaire en relation avec la coopération culturelle transfrontalière de proximité

1. Relais et leviers

Nonobstant le manque d’une approche transfrontalière spécifique, ces dernières années l’évolution stratégique et technique des politiques européennes en matière d’EC a largement agi sur son développement au sein des États membres – par exemple avec le « Nouveau plan d’action en faveur de l’économie circulaire » adopté en 2020. Parallèlement, les régions frontalières se sont vu attribuer un rôle dans la mise en place du Pacte Vert pour la transition écologique pour l’Europe; dans ce sens, l’intervention de l’UE au travers les programmes Interreg de la politique de cohésion 2021-2027 décline localement les objectifs du Pacte Vert. 

Au cours des années à venir, bien de complémentarités incitatives et d’autres synergies se conjugueront et se renforceront mutuellement, permettant le cas échéant l’optimisation de l’EC en relation avec la CCTP dans des espaces plus intégrés. Des opportunités d’innovation pourront se traduire par des projets – et idéalement par des démarches transfrontalières pérennes – en se basant sur le bien-fondé de cette relation.

2. Terrains fertiles et réalisations embryonnaires

Il est possible de déceler des indices qui dénotent déjà le début d’un cheminement. Certaines expériences présentent d’abord une approche plutôt classique liée au développement durable, alors que d’autres abordent plus spécifiquement le terrain de l’EC. Voici quelques exemples:

a) « Nova Gorica Capitale européenne de la Culture 2025 » (Slovénie) et son programme transfrontalier avec Gorizia (Italie) contribuera solidement à l’affirmation de la CCTP dans le cadre du programme communautaire Capitales européennes de la Culture couronnant une belle trajectoire d’exemples liés à une volonté transfrontalière (Lille 2004; Luxembourg et Grande Région 2007; Mons 2015; Esch-sur-Alzette 2022…). Notons d’emblée que le jury de la première évaluation de sa préparation pour 2025 a signalé dans son rapport que « la sensibilité vers l’environnement a été démontrée ».  

Plusieurs projets sont à noter: 

  • « ECOTHREADS AND BIEN » sur l’innovation en éco-matériaux textiles, la mentalité durable, les expositions et les défilés de mode avec des matériaux upcyclés;
  • les laboratoires « ISOLABS » liant art et science, environnement, écosystèmes et transdisciplinarité;
  • « NO TIME TO WASTE » sur la mise en place d’actions pour la gestion Zero Waste dans le cadre de festivals et événements culturels;
  • « (AGRI)CULTURE, BIODIVERSITY » sur les ressources locales de nourriture et la biodiversité;
  • et « GO2GREENGO » sur l’importance de la durabilité et l’approche de la permaculture, y compris à travers une bibliothèques de semences.

b) Venons-en à présent au projet particulièrement ambitieux « DEMO » Durabilité et Écologie dans le secteur de la Musique et de ses Opérateurs qui a eu pour but de créer des synergies transfrontalières entre le monde de la culture et du développement durable ainsi que de favoriser la prise de conscience collective et la dynamique de changement de comportements en faveur de l’éco-responsabilité. Il a été cofinancé par Interreg entre avril 2016 et septembre 2021 à la frontière franco-belge.

  • Une charte d’engagement était signée par les partenaires du projet  afin de se fédérer sur le long terme.
  • Une cartographie transfrontalière de prestataires engagés a aussi été élaborée avec les fournisseurs d’énergie, de produits alimentaires et boissons, la collecte de déchets, les associations d’insertion, etc. 

En outre, ils ont réalisé un diagnostic environnemental de l’organisation de concerts chez les festivals et les salles, ainsi que d’une partie des actions mises en place à plusieurs niveaux: mobilité, gestion des déchets et matériaux, réduction énergétique, biodiversité, etc. Du matériel a été partagé ou prêté par les partenaires et le réemploi et réutilisation encouragés, y compris à travers des ateliers de formation. C’est en somme un projet qui pourrait mutatis mutandis servir d’exemple pour d’autres initiatives.

c) Citons par ailleurs le « CDuLaB », un projet pilote franco-suisse de création artistique, de formation et de recherche autour de la notion de durabilité réalisé par les théâtres Vidy-Lausanne et Les 2 Scènes-Scène nationale de Besançon, via une mutualisation des moyens, des ressources et des réseaux (2021-2022).

d) Mais revenons à la frontière franco-belge: le cas du festival transfrontalier annuel NEXT de théâtre et de danse dans et autour de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et Valenciennes. Il s’agit « d’une plateforme collaborative durable dans laquelle cinq co-organisateurs et quinze autres maisons d’art associées mettent en commun leur expertise, leurs ressources et leur savoir-faire chaque année ». En particulier, nous pouvons souligner sa longévité (déjà quinze éditions); leur approche sur la mobilité transfrontalière des publics lors du festival (diminution de l’utilisation de la voiture privée); enfin, l’étude en cours « CIRCULATIONS », menée en 2023 par les étudiants du programme du Master d’Expérimentation en Arts Politiques (SPEAP) fondé par le sociologue français Bruno Latour,  qui s’interroge sur l’habitabilité de l’espace de vie en commun et l’avenir, et considère particulièrement l’eau et la frontière.

e) Toujours à l’échelle de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, remarquons les « Trophées de la mode circulaire » organisés en partenariat avec l’ADEME et la Région Hauts-de-France, et ouverts aux candidatures de France, Belgique et Pays-Bas. Par ailleurs, l’approche innovante et interdisciplinaire du Parc Bleu de l’eurométropole est à suivre de près (notamment le Projet Bloom sur la transition bio-inspirée).

f) Dernier exemple, mais non des moindres, les activités transfrontalières de « La Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieur (MEA) » qui est une association franco-allemande de rayonnement trinational (France, Allemagne et Suisse) créée en 2005, dont l’objectif est de communiquer sur l’architecture contemporaine auprès du grand public. Son champ d’action s’étend sur un large territoire: l’Alsace (France), le Bade-Wurtemberg (Allemagne) et les deux cantons de Bâle (Suisse). En particulier, elle organise chaque année à l’automne le festival « Les Journées de l’architecture | Die Architekturtage » qui se déroule dans une vingtaine de villes situées dans la région transfrontalière avec environ 150 manifestations en deux langues qui rassemblent plus de 40.000 visiteurs par an. Le thème des Journées de l’architecture en 2022 était “Architecture et Ressources” et celui de 2021 “Alternatives? Architecture!”… Des projets décidément engagés en faveur de l’économie circulaire!

Conclusion

L’émergence de la considération de l’économie circulaire en lien avec les activités de coopération culturelle transfrontalière se révèle prometteuse dans l’Union européenne, malgré les difficultés inhérentes à la coopération entre des espaces séparés par des frontières. 

D’une part, les structures de coopération transfrontalière ont tout intérêt à s’emparer de cette double ambition – culturelle et écologique – en tant que vecteur ou catalyseur d’autres coopérations stratégiques dans le cadre de démarches d’écologie industrielle territoriale (DEIT) transfrontalières adaptées à leurs contextes spécifiques. 

D’autre part, la promotion de cette réflexion au niveau trans-européen pourrait être portée par un acteur tiers tel que la Mission Opérationnelle Transfrontalière ou l’Association des Régions Frontalières Européennes, grâce à un projet pilote européen avec leurs membres par exemple, ou en l’incorporant à leurs palettes de services et de positions défendues en faveur d’espaces transfrontaliers toujours plus intégrés et durables. 

L’environnement et le développement culturel ne connaissent pas de frontières!

Dédicace

L’étymologie du mot « Ukraine » est « terre frontière » ou « région située à la frontière » en russe. Mes pensées vont à toutes les victimes de l’invasion.

Légende

Vassily Kandinsky, “Gelb-Rot-Blau”, 1925. Centre Georges Pompidou – Musée national d’art moderne; Paris.

Ressources / Bibliographie

  • Charles RICQ, Manuel de la coopération transfrontalière, Édition 2006, Collection Démocratie locale et régionale, Conseil de l’Europe, 2006.
  • Birte WASSENBERG et Bernard REITEL, Critical dictionary on borders, cross-border cooperation and European integration, Bruxelles, Éd. Peter Lang, 2020, 886 pp. 
  • Comité francilien de l’économie circulaire, “Concilier création artistique et préservation des ressources”, ORÉE, Paris, Novembre 2021.
  • Mission Opérationnelle Transfrontalière, «Les territoires transfrontaliers. La fabrique de l’Europe», Novembre 2017.

Le Réseau «Femmes pour la Culture» s’est réuni à Saint-Domingue du 22 au 25 novembre 2017

La capitale de la République dominicaine a récemment accueilli la cinquième réunion internationale de ce réseau culturel d’Amérique Latine appelé en espagnol «Mujeres por la Cultura«. Cette édition –  la première à avoir lieu dans un pays des Caraïbes – a été organisée en collaboration avec le Ministère de la culture et le Ministère de la femme de la République dominicaine, le Festival culturel «Hermanas Mirabal» et la Fondation «Proyecta Cultura».

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Le but de cette rencontre était de promouvoir l’échange d’expériences qui rendent compte des apports de la femme à travers une optique culturelle et une perspective de genre. Il a aussi été question de promouvoir la formation et le développement professionnel des femmes dans le domaine culturel ainsi que dans celui de la prévention et l’élimination de toute forme de violence de genre. Plus particulièrement, les principes d’autonomisation des femmes proposés par l’UNIFEM et le Pacte mondial des Nations Unies ont constitué le substrat des réflexions.

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Le programme a proposé des conférences, des ateliers, des expositions et des visites d’études. Les participantes provenaient de divers pays, comme le Chili, le Mexique, l’Argentine, l’Équateur, la Colombie, le Pérou, l’Uruguay, le Brésil, Haïti, la République dominicaine, entre autres.

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La quatrième réunion du réseau, à Buenos Aires, s’est décidément inscrite dans le cadre du mouvement de protestation «Pas une seule femme en moins» (Ni una menos).

Mais… qui a peur du Réseau «Femmes pour la Culture»?

Si le titre de ce paragraphe évoque clairement une célèbre pièce de théâtre (et son adaptation au cinéma), il fait aussi allusion à la brillante exposition de l’Orangerie et du Musée d’Orsay «Qui a peur des femmes photographes?» qui a questionné en 2016 la participation des femmes dans l’histoire de la photographie, non pas sous l’angle d’une ‘vision féminine’, mais en termes de territoires des genres (physiques et symboliques) et de stratégies de succès (critique et commercial; d’élargissement des périmètres…). Ces axes de réflexion originaux et pertinents m’ont spécialement fait penser à ce réseau culturel latino-américain dont l’enthousiasme des participantes me semble particulièrement contagieux.

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Membres du Réseau «Mujeres x Cultura» réunies à Quito, Équateur en décembre 2015

Un réseau enthousiaste et enthousiasmant!

Le réseau est né dans le cadre du 9ème Campus Euroaméricain de Coopération Culturelle de Cuenca, Équateur, en 2012. De manière autonome, et au-delà des collaborations qui se sont développées entre les membres du réseau, des rencontres internationales ont déjà été organisées dans quatre pays différents:

  • 1ère édition à Santiago, Chili, en 2013
  • 2ème édition à Cuernavaca, Mexique, en 2014
  • 3ème édition à Quito, Équateur, en 2015
  • 4ème édition à Buenos Aires, Argentine, en 2016

En effet, avant la réunion en République dominicaine, leur conférence précédente a eu lieu au Centre culturel Recoleta de Buenos Aires du 14 au 17 décembre 2016, sous la forme d’une résidence. Une brève vidéo de la télévision publique argentine nous fait vivre l’atmosphère créative et de réflexion qui a régné à cette occasion.

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Diseño: Carolina Cavale – Cuore

«Mujeres x la Cultura» s’est donné pour objectifs principaux la reconnaissance et la consolidation du rôle de la femme dans le développement culturel, à travers des espaces d’échange d’expériences, de savoirs et d’immersion, pour la réflexion et le débat – tant individuels que communautaires – en incorporant les nouvelles perspectives des femmes latino-américaines.

«Nous sommes des femmes de couleurs très différentes. Nous ne pensons pas de la même manière. Nous ne sommes ni du même signe politique ni de la même religion. Nous ne sommes pas toutes mères ni femmes mariées. Certaines sont plus jeunes, certaines plus âgées. Nous sommes la diversité même et dans cette même diversité nous partageons et nous construisons».

J’ai eu le plaisir d’échanger à propos du réseau avec deux de ses membres qui sont très impliquées dans ses activités: Romina Bianchini (co-fondatrice) et Susana Salerno, toutes les deux activistes et expertes en politiques culturelles. Voici quelques éléments sur leur motivations pour contribuer au développement du réseau, tantôt présentés sous forme d’entretien, tantôt complétés à partir des comptes-rendus de leurs activités (traduits et adaptés, le cas échéant, par mes soins).

Un réseau de femmes… ?

Rafael Mandujano : «Je vais jouer à l’avocat du diable. Depuis une ‘perspective masculine’, pourquoi un ‘réseau de femmes‘ alors que nous vivons des temps où la transversalité, la diversité culturelle, les rencontres de cultures, entre autres, sont nos paradigmes? Bien sûr, j’ai déjà une idée de vos raisons, mais j’aimerais connaître vos idées à ce propos».

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Romina Bianchini : «Je pense que le réseau se base sur ces paradigmes-là. Ce n’est pas parce que c’est un réseau de femmes qu’il ne prend pas en compte la transversalité; de même, si à l’origine le réseau émerge à partir de la rencontre d’administratrices de projets culturels (gestoras culturales), il n’est pas exclusivement composé de cette catégorie professionnelle. Le réseau propose précisément la transversalité au niveau des âges, des connaissances, des savoirs-faire, des points de vue, et ainsi de suite, en vue d’un objectif commun: la visibilité du rôle de la femme dans le développement culturel. C’est aussi cela lorsque nous parlons de rencontre entre les cultures; dans ce réseau sont réunies des femmes indigènes (1) avec des femmes afro-américaines, des femmes rurales, des femmes urbaines, chacune avec ses initiatives propres et son propre parcours, provenant de ‘mondes différents’, et qui se réunissent afin de travailler ensemble pour le développement d’une communauté conçue par des femmes du secteur culturel. (…) Si tu me demandes pourquoi le réseau est né et si c’est seulement pour les femmes, nous disons que c’est une invitation ouverte, en dialogue, dans laquelle ‘les masculinités’ sont présentes: des hommes ont participé aux rencontres, et à diverses reprises nous avons co-produit avec ‘leur complicité’; il y a des administrateurs culturels qui soutiennent et mettent en valeur ce processus auquel tous ceux qui luttent pour l’équité et ‘l’empowerment’ des femmes doivent participer. Je souhaite mettre en valeur aussi la contribution ‘activiste’ de collègues et de familles qui, depuis d’autres situations (comme le champ privé), accompagnent notre participation dans le réseau, dans le cadre de nos rencontres autogérées et auto-déterminées qui nous emmènent à confluer lors de notre réunion annuelle ‘auto-convoquée’. Celle-ci nourrit notre développement professionnel et personnel, dans un espace conçu pour nous-mêmes par nous-mêmes (ndlr: au féminin en espagnol ‘por nosotras para nosotras’). C’est pour cela que le réseau est fondamentalement composé par des femmes, mais cela ne veut pas dire que ce soit ‘un ghetto’- cela est une condition première pour nous».

foto_susi_2Susana Salerno nous renseigne pour sa part sur l’origine du réseau: «Des femmes collègues, amies, camarades… nous trouvions que les meilleurs thèmes – ceux non traités dans les programmes officiels des congrès culturels – surgissaient et se débattaient horizontalement, dans le contexte des cafés et des espaces plus décontractés. C’est là que les échanges s’envolaient passionnément, que l’académique s’entrelaçait avec la vie quotidienne, que le savoir cohabitait avec la sagesse, sans appréhension ni étiquettes». Pour Susana, le réseau est «un manteau où s’abritent des femmes et des hommes qui veulent modifier les discours et les styles officialisés dans le domaine culturel».

Romina m’a également parlé de ce point de départ, et dont les conséquences se ressentent clairement dans ses commentaires précédents. Elle tient à rappeler certaines constatations sur la composition des panels des conférences, sur la manière d’aborder les thèmes… «Nous croyons à l’importance de construire nos narratives propres (…) en nous questionnant sur notre travail… est-ce qu’il y a une manière différente de gestion du point de vue des femmes (plus 360°, plus sensibles, plus intuitives, plus complexes?). Nous sommes convaincues du besoin de garantir l’équité des opportunités pour que les femmes puissent participer pleinement à la vie culturelle, et ce en tant que droit humain».

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Un réseau stimulant, au sens collectif, généreux

Rafael: Qu’est-ce qui vous excite le plus dans votre participation au réseau ?

Romina: «La construction collective, basée sur le respect, la reconnaissance, les liens personnels qui se tissent, dans le cadre d’un espace où nous nous rencontrons pour des ‘raisons professionnelles’ spécifiques du domaine culturel et dans le contexte de la situation des femmes au niveau mondial (…) C’est un espace où le politique et l’individuel vont de pair. Nous bâtissons une communauté de femmes, qui travaillent ensemble, en faveur des droits de toutes les femmes».

Susana: «Moi, ce qui m’enthousiasme le plus… c’est l’enthousiasme du réseau! C’est comme si nous étions de vieilles amies qui se retrouvent, et à chaque fois c’est nouveau, c’est généreux; personne n’est pas là pour briguer une chaire, on dit ce qu’on pense, on pose des questions, on partage, on visite. Cela me rend heureuse. Cela nous permet de prendre de l’air et de redémarrer (…), et nous incite à nous dépasser et à ne pas tomber dans des stéréotypes: ne pas préjuger, tête et corps disponibles pour recevoir, modifier, donner… nous participons à un voyage de découverte à chaque fois».

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Des conférences aux programmes riches, variés et ancrés sur de besoins concrets

En effet, un simple parcours d’un programme de leur rencontre annuelle permet de cerner l’ample portée de leurs ambitions.  Par exemple, celui de Quito qui apparaît sur leur site internet (en espagnol, cliquez sur l’image).

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Quito 2015, Programme, 1/2

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Quito 2015, Programme, 2/2

Rafael: Vous étiez intervenantes lors de la rencontre de Quito, est-ce que vous pourriez partager avec nous des idées sur le contenu de vos présentations qui vous semblent essentielles ?

Romina:  «A Quito, il m’a semblé très important de proposer une présentation qui donne matière à controverse, sur les mauvaises féministes, c’est à dire, en reconnaissant nos contradictions; il faut être conscient que ces contradictions se déroulent dans la réalité et qu’elles vont au-delà du niveau personnel. Cela nous demande de nous engager pour le développement de stratégies créatives, sensibles, liées à la lutte pour l’équité et contre les violences, les abus et les sexismes, dont nous souffrons quotidiennement, et qui dépassent nos situations personnelles. Cette réalité historique et universelle doit nous retrouver unies et actives si nous ambitionnons un changement culturel; un changement de paradigme que nous considérons prioritaire, en tant que femmes, et ce à partir du secteur culturel. Après avoir expliqué ce cadre général, ma présentation s’est focalisée sur l’analyse de la situation des femmes à l’intérieur du secteur culturel et sur le nécessaire travail en réseau pour faire face à cette situation».

Susana: «Pour ma part, j’ai décidé de participer en organisant un atelier (cela fait déjà deux éditions). Depuis des années, je souhaitais mettre en mouvement les administrateurs de projets culturels (…) et j’ai trouvé une technique théâtrale, la méthode des actions physiques, qui m’a semblé pertinente pour ce faire. Je dois ajouter que mon idée de départ a évolué à partir de sa mise en pratique, notamment lors des événements des «43 disparus» au Mexique. En effet, j’ai guidé cet atelier juste quelques jours après ces faits, et alors que sur nos têtes survolaient des hélicoptères, nous nous sommes retrouvés à réagir viscéralement en dansant, telle une rencontre ancestrale. Cela a été une révélation, la technique prenait là une tout autre dimension. Pour l’anecdote, j’ai souhaité changer le nom de l’atelier pour qu’il s’appelle ‘Taller de Amorosidad‘ (jeu de mots intraduisible avec ‘amour’, ‘a-morosité’…) mais on lui préfère le nom plus formel ‘Méthode des actions physiques pour la gestion culturelle'».

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Susana Salerno avec Felipe Mella et Rafael Mandujano lors du Campus euroaméricain de coopération culturelle à Las Palmas de Gran Canaria, décembre 2010.

Les étapes suivantes de la vie du réseau

RafaelQuelles sont les prochaines activités du réseau, à court et moyen terme?

En plus de la rencontre internationale du 14 au 17 décembre 2016 à Buenos Aires, Romina signale que «nous soutenons des projets locaux et des initiatives des membres du réseau qui favorisent l’articulation entre les participants, par exemple à travers les réunions ‘Féminas’ (en Argentine, au Chili) où les projets lient les femmes et leurs territoires. Nous faisons également des dynamiques 2.0 à travers les réseaux sociaux, pour développer des campagnes sur les droits des femmes. Nous avons un projet portant sur des ateliers de formation en matière du genre dans le domaine des politiques publiques de la culture, et de sensibilisation sur les droits culturels des femmes. Nous souhaitons aussi lancer des projets de recherche sur la relation des femmes et le patrimoine (thème de la dernière rencontre). Et nous abordons activement la production collaborative de la prochaine conférence; nous avons décidé de développer des liens avec d’autres réseaux de femmes et d’inciter la participation d’organisations dans le domaine de la coopération.»

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Visiblement, le réseau «Mujeres x la Cultura» n’a pas, quant à lui, peur de porter de hautes ambitions! Parmi de nombreux réseaux culturels, il fait preuve de pertinence et d’énergie partagée. Je suis sûr que dans les années à venir le réseau continuera à connaître un grand succès!

Le réseau a une page Facebook que je vous recommande – très active notamment lors de leurs rencontres. Si vous comprenez l’espagnol, n’hésitez pas à visiter le site ‘Mujeres x Cultura‘ pour plus d’information.

1: Indigènes: Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée (http://www.cnrtl.fr/definition/indigène)

Biographies

Romina Bianchini (Argentine)

romi_profile_arts_summitEn 2003, Romina a créé la plate-forme internationale d’administrateurs culturels “Proyecta Cultura”. Romina est coordinatrice du Réseau d’Art Urbain ‘Neural’ depuis 2011. Elle travaille actuellement au Centre Culturel Recoleta, à  Buenos Aires,  au sein du département des contenus.Activiste des droits de l’homme, Romina a travaillé depuis 2004 en tant qu’éducatrice dans le cadre d’ateliers sur les droits culturels dans plusieurs communautés à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes. Elle est spécialiste dans le domaine de la création et de l’administration de réseaux culturels internationaux pour la coopération au développement, et elle est consultante indépendante dans le domaine culturel depuis plus de 16 ans. Elle est aussi intervenante à l’Université National de La Plata (Diplôme technique de musique populaire).

Récemment, Romina a été intervenante lors du 7ème Sommet Mondial des Arts et de la Culture, à La Vallette, Malte, en octobre 2016.

Susana Salerno (Argentine)

foto_susi_fbActrice, productrice et administratrice culturelle. Au-delà d’un longue expérience dans le domaine du théâtre et du cinéma en tant qu’actrice, Susana a aussi une riche carrière en matière des politiques culturelles et de la coopération (coordinatrice des relations publiques et de la coopération internationale au sein du Ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires).

Elle a organisé les rencontres des Coalitions pour la diversité culturelle à Buenos Aires en vue de la préparation de la Convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO.

Susana a participé à de nombreux colloques, séminaires, festivals et congrès internationaux. Elle a aussi préparé et géré le projet ‘L’art contre la discrimination’ pour l’INADI. Elle développe des ateliers pratiques basés sur des techniques théâtrales. Susana travaille actuellement pour la télévision publique argentine.

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Qui a peur du Réseau «Femmes pour la Culture»?

Si le titre de ce billet évoque clairement une célèbre pièce de théâtre (et son adaptation au cinéma), il fait aussi allusion à la brillante exposition de l’Orangerie et du Musée d’Orsay «Qui a peur des femmes photographes?» qui a questionné la participation des femmes dans l’histoire de la photographie, non pas sous l’angle d’une ‘vision féminine’, mais en termes de territoires des genres (physiques et symboliques) et de stratégies de succès (critique et commercial; d’élargissement des périmètres…). Ces axes de réflexion originaux et pertinents m’ont spécialement fait penser à un réseau culturel d’Amérique Latine appelé «Mujeres por la Cultura«, femmes pour la culture, dont l’enthousiasme des participantes me semble particulièrement contagieux.

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Membres du Réseau «Mujeres x Cultura» réunies à Quito, Équateur en décembre 2015

Un réseau enthousiaste et enthousiasmant!

Le réseau est né dans le cadre du 9ème Campus Euroaméricain de Coopération Culturelle de Cuenca, Équateur, en 2012. De manière autonome, et au-delà des collaborations qui se sont développées entre les membres du réseau, des rencontres internationales ont déjà été organisées dans quatre pays différents:

  • 1ère édition à Santiago, Chili, en 2013
  • 2ème édition à Cuernavaca, Mexique, en 2014
  • 3ème édition à Quito, Équateur, en 2015
  • 4ème édition à Buenos Aires, Argentine, en 2016

La plus récente édition a eu lieu au Centre culturel Recoleta de Buenos Aires du 14 au 17 décembre 2016, sous la forme d’une résidence.

«Mujeres x la Cultura» s’est donné pour objectifs principaux la reconnaissance et la consolidation du rôle de la femme dans le développement culturel, à travers des espaces d’échange d’expériences, de savoirs et d’immersion, pour la réflexion et le débat – tant individuels que communautaires – en incorporant les nouvelles perspectives des femmes latino-américaines.

«Nous sommes des femmes de couleurs très différentes. Nous ne pensons pas de la même manière. Nous ne sommes ni du même signe politique ni de la même religion. Nous ne sommes pas toutes mères ni femmes mariées. Certaines sont plus jeunes, certaines plus âgées. Nous sommes la diversité même et dans cette même diversité nous partageons et nous construisons».

J’ai eu le plaisir d’échanger à propos du réseau avec deux de ses membres qui sont très impliquées dans ses activités: Romina Bianchini (co-fondatrice) et Susana Salerno, toutes les deux activistes et expertes en politiques culturelles. Voici quelques éléments sur leur motivations pour contribuer au développement du réseau, tantôt présentés sous forme d’entretien, tantôt complétés à partir des comptes-rendus de leurs activités (traduits et adaptés, le cas échéant, par mes soins).

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Diseño: Carolina Cavale – Cuore

Un réseau de femmes… ?

Rafael Mandujano : «Je vais jouer à l’avocat du diable. Depuis une ‘perspective masculine’, pourquoi un ‘réseau de femmes‘ alors que nous vivons des temps où la transversalité, la diversité culturelle, les rencontres de cultures, entre autres, sont nos paradigmes? Bien sûr, j’ai déjà une idée de vos raisons, mais j’aimerais connaître vos idées à ce propos».

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Romina Bianchini : «Je pense que le réseau se base sur ces paradigmes-là. Ce n’est pas parce que c’est un réseau de femmes qu’il ne prend pas en compte la transversalité; de même, si à l’origine le réseau émerge à partir de la rencontre d’administratrices de projets culturels (gestoras culturales), il n’est pas exclusivement composé de cette catégorie professionnelle. Le réseau propose précisément la transversalité au niveau des âges, des connaissances, des savoirs-faire, des points de vue, et ainsi de suite, en vue d’un objectif commun: la visibilité du rôle de la femme dans le développement culturel. C’est aussi cela lorsque nous parlons de rencontre entre les cultures; dans ce réseau sont réunies des femmes indigènes (1) avec des femmes afro-américaines, des femmes rurales, des femmes urbaines, chacune avec ses initiatives propres et son propre parcours, provenant de ‘mondes différents’, et qui se réunissent afin de travailler ensemble pour le développement d’une communauté conçue par des femmes du secteur culturel. (…) Si tu me demandes pourquoi le réseau est né et si c’est seulement pour les femmes, nous disons que c’est une invitation ouverte, en dialogue, dans laquelle ‘les masculinités’ sont présentes: des hommes ont participé aux rencontres, et à diverses reprises nous avons co-produit avec ‘leur complicité’; il y a des administrateurs culturels qui soutiennent et mettent en valeur ce processus auquel tous ceux qui luttent pour l’équité et ‘l’empowerment’ des femmes doivent participer. Je souhaite mettre en valeur aussi la contribution ‘activiste’ de collègues et de familles qui, depuis d’autres situations (comme le champ privé), accompagnent notre participation dans le réseau, dans le cadre de nos rencontres autogérées et auto-déterminées qui nous emmènent à confluer lors de notre réunion annuelle ‘auto-convoquée’. Celle-ci nourrit notre développement professionnel et personnel, dans un espace conçu pour nous-mêmes par nous-mêmes (ndlr: au féminin en espagnol ‘por nosotras para nosotras’). C’est pour cela que le réseau est fondamentalement composé par des femmes, mais cela ne veut pas dire que ce soit ‘un ghetto’- cela est une condition première pour nous».

foto_susi_2Susana Salerno nous renseigne pour sa part sur l’origine du réseau: «Des femmes collègues, amies, camarades… nous trouvions que les meilleurs thèmes – ceux non traités dans les programmes officiels des congrès culturels – surgissaient et se débattaient horizontalement, dans le contexte des cafés et des espaces plus décontractés. C’est là que les échanges s’envolaient passionnément, que l’académique s’entrelaçait avec la vie quotidienne, que le savoir cohabitait avec la sagesse, sans appréhension ni étiquettes». Pour Susana, le réseau est «un manteau où s’abritent des femmes et des hommes qui veulent modifier les discours et les styles officialisés dans le domaine culturel».

Romina m’a également parlé de ce point de départ, et dont les conséquences se ressentent clairement dans ses commentaires précédents. Elle tient à rappeler certaines constatations sur la composition des panels des conférences, sur la manière d’aborder les thèmes… «Nous croyons à l’importance de construire nos narratives propres (…) en nous questionnant sur notre travail… est-ce qu’il y a une manière différente de gestion du point de vue des femmes (plus 360°, plus sensibles, plus intuitives, plus complexes?). Nous sommes convaincues du besoin de garantir l’équité des opportunités pour que les femmes puissent participer pleinement à la vie culturelle, et ce en tant que droit humain».

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Un réseau stimulant, au sens collectif, généreux

Rafael: Qu’est-ce qui vous excite le plus dans votre participation au réseau ?

Romina: «La construction collective, basée sur le respect, la reconnaissance, les liens personnels qui se tissent, dans le cadre d’un espace où nous nous rencontrons pour des ‘raisons professionnelles’ spécifiques du domaine culturel et dans le contexte de la situation des femmes au niveau mondial (…) C’est un espace où le politique et l’individuel vont de pair. Nous bâtissons une communauté de femmes, qui travaillent ensemble, en faveur des droits de toutes les femmes».

Susana: «Moi, ce qui m’enthousiasme le plus… c’est l’enthousiasme du réseau! C’est comme si nous étions de vieilles amies qui se retrouvent, et à chaque fois c’est nouveau, c’est généreux; personne n’est pas là pour briguer une chaire, on dit ce qu’on pense, on pose des questions, on partage, on visite. Cela me rend heureuse. Cela nous permet de prendre de l’air et de redémarrer (…), et nous incite à nous dépasser et à ne pas tomber dans des stéréotypes: ne pas préjuger, tête et corps disponibles pour recevoir, modifier, donner… nous participons à un voyage de découverte à chaque fois».

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Des conférences aux programmes riches, variés et ancrés sur de besoins concrets

En effet, un simple parcours d’un programme de leur rencontre annuelle permet de cerner l’ample portée de leurs ambitions.  Par exemple, celui de Quito qui apparaît sur leur site internet (en espagnol, cliquez sur l’image).

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Quito 2015, Programme, 1/2

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Quito 2015, Programme, 2/2

Rafael: Vous étiez intervenantes lors de la rencontre de Quito, est-ce que vous pourriez partager avec nous des idées sur le contenu de vos présentations qui vous semblent essentielles ?

Romina:  «A Quito, il m’a semblé très important de proposer une présentation qui donne matière à controverse, sur les mauvaises féministes, c’est à dire, en reconnaissant nos contradictions; il faut être conscient que ces contradictions se déroulent dans la réalité et qu’elles vont au-delà du niveau personnel. Cela nous demande de nous engager pour le développement de stratégies créatives, sensibles, liées à la lutte pour l’équité et contre les violences, les abus et les sexismes, dont nous souffrons quotidiennement, et qui dépassent nos situations personnelles. Cette réalité historique et universelle doit nous retrouver unies et actives si nous ambitionnons un changement culturel; un changement de paradigme que nous considérons prioritaire, en tant que femmes, et ce à partir du secteur culturel. Après avoir expliqué ce cadre général, ma présentation s’est focalisée sur l’analyse de la situation des femmes à l’intérieur du secteur culturel et sur le nécessaire travail en réseau pour faire face à cette situation».

Susana: «Pour ma part, j’ai décidé de participer en organisant un atelier (cela fait déjà deux éditions). Depuis des années, je souhaitais mettre en mouvement les administrateurs de projets culturels (…) et j’ai trouvé une technique théâtrale, la méthode des actions physiques, qui m’a semblé pertinente pour ce faire. Je dois ajouter que mon idée de départ a évolué à partir de sa mise en pratique, notamment lors des événements des «43 disparus» au Mexique. En effet, j’ai guidé cet atelier juste quelques jours après ces faits, et alors que sur nos têtes survolaient des hélicoptères, nous nous sommes retrouvés à réagir viscéralement en dansant, telle une rencontre ancestrale. Cela a été une révélation, la technique prenait là une tout autre dimension. Pour l’anecdote, j’ai souhaité changer le nom de l’atelier pour qu’il s’appelle ‘Taller de Amorosidad’ (jeu de mots intraduisible avec ‘amour’, ‘a-morosité’…) mais on lui préfère le nom plus formel ‘Méthode des actions physiques pour la gestion culturelle'».

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Susana Salerno avec Felipe Mella et Rafael Mandujano lors du Campus euroaméricain de coopération culturelle à Las Palmas de Gran Canaria, décembre 2010.

Les étapes suivantes de la vie du réseau

RafaelQuelles sont les prochaines activités du réseau, à court et moyen terme?

En plus de la toute récente édition de la rencontre internationale du 14 au 17 décembre 2016 à Buenos Aires, Romina signale que «nous soutenons des projets locaux et des initiatives des membres du réseau qui favorisent l’articulation entre les participants, par exemple à travers les réunions ‘Féminas’ (en Argentine, au Chili) où les projets lient les femmes et leurs territoires. Nous faisons également des dynamiques 2.0 à travers les réseaux sociaux, pour développer des campagnes sur les droits des femmes. Nous avons un projet portant sur des ateliers de formation en matière du genre dans le domaine des politiques publiques de la culture, et de sensibilisation sur les droits culturels des femmes. Nous souhaitons aussi lancer des projets de recherche sur la relation des femmes et le patrimoine (thème de la dernière rencontre). Et nous abordons activement la production collaborative de la prochaine conférence; nous avons décidé de développer des liens avec d’autres réseaux de femmes et d’inciter la participation d’organisations dans le domaine de la coopération.»

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Visiblement, le réseau «Mujeres x la Cultura» n’a pas, quant à lui, peur de porter de hautes ambitions! Parmi de nombreux réseaux culturels, il fait preuve de pertinence et d’énergie partagée. Je suis sûr que dans les années à venir le réseau continuera à connaître un grand succès.

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Le réseau a une page Facebook que je vous recommande – très active notamment lors de leurs rencontres. Si vous comprenez l’espagnol, n’hésitez pas à visiter le site ‘Mujeres x Cultura‘ pour plus d’information.

1: Indigènes: Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée (http://www.cnrtl.fr/definition/indigène)

Biographies

Romina Bianchini (Argentine)

romi_profile_arts_summitEn 2003, Romina a créé la plate-forme internationale d’administrateurs culturels “Proyecta Cultura”. Romina est coordinatrice du Réseau d’Art Urbain ‘Neural’ depuis 2011. Elle travaille actuellement au Centre Culturel Recoleta, à  Buenos Aires,  au sein du département des contenus.Activiste des droits de l’homme, Romina a travaillé depuis 2004 en tant qu’éducatrice dans le cadre d’ateliers sur les droits culturels dans plusieurs communautés à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes. Elle est spécialiste dans le domaine de la création et de l’administration de réseaux culturels internationaux pour la coopération au développement, et elle est consultante indépendante dans le domaine culturel depuis plus de 16 ans. Elle est aussi intervenante à l’Université National de La Plata (Diplôme technique de musique populaire).

Récemment, Romina a été intervenante lors du 7ème Sommet Mondial des Arts et de la Culture, à La Vallette, Malte, en octobre 2016.

Susana Salerno (Argentine)

foto_susi_fbActrice, productrice et administratrice culturelle. Au-delà d’un longue expérience dans le domaine du théâtre et du cinéma en tant qu’actrice, Susana a aussi une riche carrière en matière des politiques culturelles et de la coopération (coordinatrice des relations publiques et de la coopération internationale au sein du Ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires).

Elle a organisé les rencontres des Coalitions pour la diversité culturelle à Buenos Aires en vue de la préparation de la Convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO.

Susana a participé à de nombreux colloques, séminaires, festivals et congrès internationaux. Elle a aussi préparé et géré le projet ‘L’art contre la discrimination’ pour l’INADI. Elle développe des ateliers pratiques basés sur des techniques théâtrales. Susana travaille actuellement pour la télévision publique argentine.

Atelier blogueurs et twitteurs focalisés sur les politiques culturelles et coopération culturelle

Un atelier sur les blogueurs et les twitteurs spécialisés en politiques culturelles et coopération culturelle aura lieu ce jeudi 22 novembre dans le cadre du ‘Campus européen des territoires pour la culture’ organisé par l’Association Les Rencontres.
De 17h à 18h40, salle des lectures de la Maison Heinrich Heine, Cité universitaire de Paris.
Il sera animé par Gonzague Gauthier, blog Véculture.
Avec la participation de Frank Thinnes, portail transfrontalier plurio.net (Luxembourg, Belgique et Allemagne).
Entre autres.
Entrée libre sur inscription: rafael.mandujano@lesrencontres.eu
Plus d’info sur:
http://www.lesrencontres.eu
Pour participer à l’ensemble du Campus, consulter les frais d’inscription dans les informations pratiques.