Le Réseau «Femmes pour la Culture» s’est réuni à Saint-Domingue du 22 au 25 novembre 2017

La capitale de la République dominicaine a récemment accueilli la cinquième réunion internationale de ce réseau culturel d’Amérique Latine appelé en espagnol «Mujeres por la Cultura«. Cette édition –  la première à avoir lieu dans un pays des Caraïbes – a été organisée en collaboration avec le Ministère de la culture et le Ministère de la femme de la République dominicaine, le Festival culturel «Hermanas Mirabal» et la Fondation «Proyecta Cultura».

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Le but de cette rencontre était de promouvoir l’échange d’expériences qui rendent compte des apports de la femme à travers une optique culturelle et une perspective de genre. Il a aussi été question de promouvoir la formation et le développement professionnel des femmes dans le domaine culturel ainsi que dans celui de la prévention et l’élimination de toute forme de violence de genre. Plus particulièrement, les principes d’autonomisation des femmes proposés par l’UNIFEM et le Pacte mondial des Nations Unies ont constitué le substrat des réflexions.

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Le programme a proposé des conférences, des ateliers, des expositions et des visites d’études. Les participantes provenaient de divers pays, comme le Chili, le Mexique, l’Argentine, l’Équateur, la Colombie, le Pérou, l’Uruguay, le Brésil, Haïti, la République dominicaine, entre autres.

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La quatrième réunion du réseau, à Buenos Aires, s’est décidément inscrite dans le cadre du mouvement de protestation «Pas une seule femme en moins» (Ni una menos).

Mais… qui a peur du Réseau «Femmes pour la Culture»?

Si le titre de ce paragraphe évoque clairement une célèbre pièce de théâtre (et son adaptation au cinéma), il fait aussi allusion à la brillante exposition de l’Orangerie et du Musée d’Orsay «Qui a peur des femmes photographes?» qui a questionné en 2016 la participation des femmes dans l’histoire de la photographie, non pas sous l’angle d’une ‘vision féminine’, mais en termes de territoires des genres (physiques et symboliques) et de stratégies de succès (critique et commercial; d’élargissement des périmètres…). Ces axes de réflexion originaux et pertinents m’ont spécialement fait penser à ce réseau culturel latino-américain dont l’enthousiasme des participantes me semble particulièrement contagieux.

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Membres du Réseau «Mujeres x Cultura» réunies à Quito, Équateur en décembre 2015

Un réseau enthousiaste et enthousiasmant!

Le réseau est né dans le cadre du 9ème Campus Euroaméricain de Coopération Culturelle de Cuenca, Équateur, en 2012. De manière autonome, et au-delà des collaborations qui se sont développées entre les membres du réseau, des rencontres internationales ont déjà été organisées dans quatre pays différents:

  • 1ère édition à Santiago, Chili, en 2013
  • 2ème édition à Cuernavaca, Mexique, en 2014
  • 3ème édition à Quito, Équateur, en 2015
  • 4ème édition à Buenos Aires, Argentine, en 2016

En effet, avant la réunion en République dominicaine, leur conférence précédente a eu lieu au Centre culturel Recoleta de Buenos Aires du 14 au 17 décembre 2016, sous la forme d’une résidence. Une brève vidéo de la télévision publique argentine nous fait vivre l’atmosphère créative et de réflexion qui a régné à cette occasion.

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Diseño: Carolina Cavale – Cuore

«Mujeres x la Cultura» s’est donné pour objectifs principaux la reconnaissance et la consolidation du rôle de la femme dans le développement culturel, à travers des espaces d’échange d’expériences, de savoirs et d’immersion, pour la réflexion et le débat – tant individuels que communautaires – en incorporant les nouvelles perspectives des femmes latino-américaines.

«Nous sommes des femmes de couleurs très différentes. Nous ne pensons pas de la même manière. Nous ne sommes ni du même signe politique ni de la même religion. Nous ne sommes pas toutes mères ni femmes mariées. Certaines sont plus jeunes, certaines plus âgées. Nous sommes la diversité même et dans cette même diversité nous partageons et nous construisons».

J’ai eu le plaisir d’échanger à propos du réseau avec deux de ses membres qui sont très impliquées dans ses activités: Romina Bianchini (co-fondatrice) et Susana Salerno, toutes les deux activistes et expertes en politiques culturelles. Voici quelques éléments sur leur motivations pour contribuer au développement du réseau, tantôt présentés sous forme d’entretien, tantôt complétés à partir des comptes-rendus de leurs activités (traduits et adaptés, le cas échéant, par mes soins).

Un réseau de femmes… ?

Rafael Mandujano : «Je vais jouer à l’avocat du diable. Depuis une ‘perspective masculine’, pourquoi un ‘réseau de femmes‘ alors que nous vivons des temps où la transversalité, la diversité culturelle, les rencontres de cultures, entre autres, sont nos paradigmes? Bien sûr, j’ai déjà une idée de vos raisons, mais j’aimerais connaître vos idées à ce propos».

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Romina Bianchini : «Je pense que le réseau se base sur ces paradigmes-là. Ce n’est pas parce que c’est un réseau de femmes qu’il ne prend pas en compte la transversalité; de même, si à l’origine le réseau émerge à partir de la rencontre d’administratrices de projets culturels (gestoras culturales), il n’est pas exclusivement composé de cette catégorie professionnelle. Le réseau propose précisément la transversalité au niveau des âges, des connaissances, des savoirs-faire, des points de vue, et ainsi de suite, en vue d’un objectif commun: la visibilité du rôle de la femme dans le développement culturel. C’est aussi cela lorsque nous parlons de rencontre entre les cultures; dans ce réseau sont réunies des femmes indigènes (1) avec des femmes afro-américaines, des femmes rurales, des femmes urbaines, chacune avec ses initiatives propres et son propre parcours, provenant de ‘mondes différents’, et qui se réunissent afin de travailler ensemble pour le développement d’une communauté conçue par des femmes du secteur culturel. (…) Si tu me demandes pourquoi le réseau est né et si c’est seulement pour les femmes, nous disons que c’est une invitation ouverte, en dialogue, dans laquelle ‘les masculinités’ sont présentes: des hommes ont participé aux rencontres, et à diverses reprises nous avons co-produit avec ‘leur complicité’; il y a des administrateurs culturels qui soutiennent et mettent en valeur ce processus auquel tous ceux qui luttent pour l’équité et ‘l’empowerment’ des femmes doivent participer. Je souhaite mettre en valeur aussi la contribution ‘activiste’ de collègues et de familles qui, depuis d’autres situations (comme le champ privé), accompagnent notre participation dans le réseau, dans le cadre de nos rencontres autogérées et auto-déterminées qui nous emmènent à confluer lors de notre réunion annuelle ‘auto-convoquée’. Celle-ci nourrit notre développement professionnel et personnel, dans un espace conçu pour nous-mêmes par nous-mêmes (ndlr: au féminin en espagnol ‘por nosotras para nosotras’). C’est pour cela que le réseau est fondamentalement composé par des femmes, mais cela ne veut pas dire que ce soit ‘un ghetto’- cela est une condition première pour nous».

foto_susi_2Susana Salerno nous renseigne pour sa part sur l’origine du réseau: «Des femmes collègues, amies, camarades… nous trouvions que les meilleurs thèmes – ceux non traités dans les programmes officiels des congrès culturels – surgissaient et se débattaient horizontalement, dans le contexte des cafés et des espaces plus décontractés. C’est là que les échanges s’envolaient passionnément, que l’académique s’entrelaçait avec la vie quotidienne, que le savoir cohabitait avec la sagesse, sans appréhension ni étiquettes». Pour Susana, le réseau est «un manteau où s’abritent des femmes et des hommes qui veulent modifier les discours et les styles officialisés dans le domaine culturel».

Romina m’a également parlé de ce point de départ, et dont les conséquences se ressentent clairement dans ses commentaires précédents. Elle tient à rappeler certaines constatations sur la composition des panels des conférences, sur la manière d’aborder les thèmes… «Nous croyons à l’importance de construire nos narratives propres (…) en nous questionnant sur notre travail… est-ce qu’il y a une manière différente de gestion du point de vue des femmes (plus 360°, plus sensibles, plus intuitives, plus complexes?). Nous sommes convaincues du besoin de garantir l’équité des opportunités pour que les femmes puissent participer pleinement à la vie culturelle, et ce en tant que droit humain».

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Un réseau stimulant, au sens collectif, généreux

Rafael: Qu’est-ce qui vous excite le plus dans votre participation au réseau ?

Romina: «La construction collective, basée sur le respect, la reconnaissance, les liens personnels qui se tissent, dans le cadre d’un espace où nous nous rencontrons pour des ‘raisons professionnelles’ spécifiques du domaine culturel et dans le contexte de la situation des femmes au niveau mondial (…) C’est un espace où le politique et l’individuel vont de pair. Nous bâtissons une communauté de femmes, qui travaillent ensemble, en faveur des droits de toutes les femmes».

Susana: «Moi, ce qui m’enthousiasme le plus… c’est l’enthousiasme du réseau! C’est comme si nous étions de vieilles amies qui se retrouvent, et à chaque fois c’est nouveau, c’est généreux; personne n’est pas là pour briguer une chaire, on dit ce qu’on pense, on pose des questions, on partage, on visite. Cela me rend heureuse. Cela nous permet de prendre de l’air et de redémarrer (…), et nous incite à nous dépasser et à ne pas tomber dans des stéréotypes: ne pas préjuger, tête et corps disponibles pour recevoir, modifier, donner… nous participons à un voyage de découverte à chaque fois».

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Des conférences aux programmes riches, variés et ancrés sur de besoins concrets

En effet, un simple parcours d’un programme de leur rencontre annuelle permet de cerner l’ample portée de leurs ambitions.  Par exemple, celui de Quito qui apparaît sur leur site internet (en espagnol, cliquez sur l’image).

Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 1/2
Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 2/2

Rafael: Vous étiez intervenantes lors de la rencontre de Quito, est-ce que vous pourriez partager avec nous des idées sur le contenu de vos présentations qui vous semblent essentielles ?

Romina:  «A Quito, il m’a semblé très important de proposer une présentation qui donne matière à controverse, sur les mauvaises féministes, c’est à dire, en reconnaissant nos contradictions; il faut être conscient que ces contradictions se déroulent dans la réalité et qu’elles vont au-delà du niveau personnel. Cela nous demande de nous engager pour le développement de stratégies créatives, sensibles, liées à la lutte pour l’équité et contre les violences, les abus et les sexismes, dont nous souffrons quotidiennement, et qui dépassent nos situations personnelles. Cette réalité historique et universelle doit nous retrouver unies et actives si nous ambitionnons un changement culturel; un changement de paradigme que nous considérons prioritaire, en tant que femmes, et ce à partir du secteur culturel. Après avoir expliqué ce cadre général, ma présentation s’est focalisée sur l’analyse de la situation des femmes à l’intérieur du secteur culturel et sur le nécessaire travail en réseau pour faire face à cette situation».

Susana: «Pour ma part, j’ai décidé de participer en organisant un atelier (cela fait déjà deux éditions). Depuis des années, je souhaitais mettre en mouvement les administrateurs de projets culturels (…) et j’ai trouvé une technique théâtrale, la méthode des actions physiques, qui m’a semblé pertinente pour ce faire. Je dois ajouter que mon idée de départ a évolué à partir de sa mise en pratique, notamment lors des événements des «43 disparus» au Mexique. En effet, j’ai guidé cet atelier juste quelques jours après ces faits, et alors que sur nos têtes survolaient des hélicoptères, nous nous sommes retrouvés à réagir viscéralement en dansant, telle une rencontre ancestrale. Cela a été une révélation, la technique prenait là une tout autre dimension. Pour l’anecdote, j’ai souhaité changer le nom de l’atelier pour qu’il s’appelle ‘Taller de Amorosidad‘ (jeu de mots intraduisible avec ‘amour’, ‘a-morosité’…) mais on lui préfère le nom plus formel ‘Méthode des actions physiques pour la gestion culturelle'».

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Susana Salerno avec Felipe Mella et Rafael Mandujano lors du Campus euroaméricain de coopération culturelle à Las Palmas de Gran Canaria, décembre 2010.

Les étapes suivantes de la vie du réseau

RafaelQuelles sont les prochaines activités du réseau, à court et moyen terme?

En plus de la rencontre internationale du 14 au 17 décembre 2016 à Buenos Aires, Romina signale que «nous soutenons des projets locaux et des initiatives des membres du réseau qui favorisent l’articulation entre les participants, par exemple à travers les réunions ‘Féminas’ (en Argentine, au Chili) où les projets lient les femmes et leurs territoires. Nous faisons également des dynamiques 2.0 à travers les réseaux sociaux, pour développer des campagnes sur les droits des femmes. Nous avons un projet portant sur des ateliers de formation en matière du genre dans le domaine des politiques publiques de la culture, et de sensibilisation sur les droits culturels des femmes. Nous souhaitons aussi lancer des projets de recherche sur la relation des femmes et le patrimoine (thème de la dernière rencontre). Et nous abordons activement la production collaborative de la prochaine conférence; nous avons décidé de développer des liens avec d’autres réseaux de femmes et d’inciter la participation d’organisations dans le domaine de la coopération.»

enthousiasme

Visiblement, le réseau «Mujeres x la Cultura» n’a pas, quant à lui, peur de porter de hautes ambitions! Parmi de nombreux réseaux culturels, il fait preuve de pertinence et d’énergie partagée. Je suis sûr que dans les années à venir le réseau continuera à connaître un grand succès!

Le réseau a une page Facebook que je vous recommande – très active notamment lors de leurs rencontres. Si vous comprenez l’espagnol, n’hésitez pas à visiter le site ‘Mujeres x Cultura‘ pour plus d’information.

1: Indigènes: Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée (http://www.cnrtl.fr/definition/indigène)

Biographies

Romina Bianchini (Argentine)

romi_profile_arts_summitEn 2003, Romina a créé la plate-forme internationale d’administrateurs culturels “Proyecta Cultura”. Romina est coordinatrice du Réseau d’Art Urbain ‘Neural’ depuis 2011. Elle travaille actuellement au Centre Culturel Recoleta, à  Buenos Aires,  au sein du département des contenus.Activiste des droits de l’homme, Romina a travaillé depuis 2004 en tant qu’éducatrice dans le cadre d’ateliers sur les droits culturels dans plusieurs communautés à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes. Elle est spécialiste dans le domaine de la création et de l’administration de réseaux culturels internationaux pour la coopération au développement, et elle est consultante indépendante dans le domaine culturel depuis plus de 16 ans. Elle est aussi intervenante à l’Université National de La Plata (Diplôme technique de musique populaire).

Récemment, Romina a été intervenante lors du 7ème Sommet Mondial des Arts et de la Culture, à La Vallette, Malte, en octobre 2016.

Susana Salerno (Argentine)

foto_susi_fbActrice, productrice et administratrice culturelle. Au-delà d’un longue expérience dans le domaine du théâtre et du cinéma en tant qu’actrice, Susana a aussi une riche carrière en matière des politiques culturelles et de la coopération (coordinatrice des relations publiques et de la coopération internationale au sein du Ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires).

Elle a organisé les rencontres des Coalitions pour la diversité culturelle à Buenos Aires en vue de la préparation de la Convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO.

Susana a participé à de nombreux colloques, séminaires, festivals et congrès internationaux. Elle a aussi préparé et géré le projet ‘L’art contre la discrimination’ pour l’INADI. Elle développe des ateliers pratiques basés sur des techniques théâtrales. Susana travaille actuellement pour la télévision publique argentine.

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Qui a peur du Réseau «Femmes pour la Culture»?

Si le titre de ce billet évoque clairement une célèbre pièce de théâtre (et son adaptation au cinéma), il fait aussi allusion à la brillante exposition de l’Orangerie et du Musée d’Orsay «Qui a peur des femmes photographes?» qui a questionné la participation des femmes dans l’histoire de la photographie, non pas sous l’angle d’une ‘vision féminine’, mais en termes de territoires des genres (physiques et symboliques) et de stratégies de succès (critique et commercial; d’élargissement des périmètres…). Ces axes de réflexion originaux et pertinents m’ont spécialement fait penser à un réseau culturel d’Amérique Latine appelé «Mujeres por la Cultura«, femmes pour la culture, dont l’enthousiasme des participantes me semble particulièrement contagieux.

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Membres du Réseau «Mujeres x Cultura» réunies à Quito, Équateur en décembre 2015

Un réseau enthousiaste et enthousiasmant!

Le réseau est né dans le cadre du 9ème Campus Euroaméricain de Coopération Culturelle de Cuenca, Équateur, en 2012. De manière autonome, et au-delà des collaborations qui se sont développées entre les membres du réseau, des rencontres internationales ont déjà été organisées dans quatre pays différents:

  • 1ère édition à Santiago, Chili, en 2013
  • 2ème édition à Cuernavaca, Mexique, en 2014
  • 3ème édition à Quito, Équateur, en 2015
  • 4ème édition à Buenos Aires, Argentine, en 2016

La plus récente édition a eu lieu au Centre culturel Recoleta de Buenos Aires du 14 au 17 décembre 2016, sous la forme d’une résidence.

«Mujeres x la Cultura» s’est donné pour objectifs principaux la reconnaissance et la consolidation du rôle de la femme dans le développement culturel, à travers des espaces d’échange d’expériences, de savoirs et d’immersion, pour la réflexion et le débat – tant individuels que communautaires – en incorporant les nouvelles perspectives des femmes latino-américaines.

«Nous sommes des femmes de couleurs très différentes. Nous ne pensons pas de la même manière. Nous ne sommes ni du même signe politique ni de la même religion. Nous ne sommes pas toutes mères ni femmes mariées. Certaines sont plus jeunes, certaines plus âgées. Nous sommes la diversité même et dans cette même diversité nous partageons et nous construisons».

J’ai eu le plaisir d’échanger à propos du réseau avec deux de ses membres qui sont très impliquées dans ses activités: Romina Bianchini (co-fondatrice) et Susana Salerno, toutes les deux activistes et expertes en politiques culturelles. Voici quelques éléments sur leur motivations pour contribuer au développement du réseau, tantôt présentés sous forme d’entretien, tantôt complétés à partir des comptes-rendus de leurs activités (traduits et adaptés, le cas échéant, par mes soins).

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Diseño: Carolina Cavale – Cuore

Un réseau de femmes… ?

Rafael Mandujano : «Je vais jouer à l’avocat du diable. Depuis une ‘perspective masculine’, pourquoi un ‘réseau de femmes‘ alors que nous vivons des temps où la transversalité, la diversité culturelle, les rencontres de cultures, entre autres, sont nos paradigmes? Bien sûr, j’ai déjà une idée de vos raisons, mais j’aimerais connaître vos idées à ce propos».

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Romina Bianchini : «Je pense que le réseau se base sur ces paradigmes-là. Ce n’est pas parce que c’est un réseau de femmes qu’il ne prend pas en compte la transversalité; de même, si à l’origine le réseau émerge à partir de la rencontre d’administratrices de projets culturels (gestoras culturales), il n’est pas exclusivement composé de cette catégorie professionnelle. Le réseau propose précisément la transversalité au niveau des âges, des connaissances, des savoirs-faire, des points de vue, et ainsi de suite, en vue d’un objectif commun: la visibilité du rôle de la femme dans le développement culturel. C’est aussi cela lorsque nous parlons de rencontre entre les cultures; dans ce réseau sont réunies des femmes indigènes (1) avec des femmes afro-américaines, des femmes rurales, des femmes urbaines, chacune avec ses initiatives propres et son propre parcours, provenant de ‘mondes différents’, et qui se réunissent afin de travailler ensemble pour le développement d’une communauté conçue par des femmes du secteur culturel. (…) Si tu me demandes pourquoi le réseau est né et si c’est seulement pour les femmes, nous disons que c’est une invitation ouverte, en dialogue, dans laquelle ‘les masculinités’ sont présentes: des hommes ont participé aux rencontres, et à diverses reprises nous avons co-produit avec ‘leur complicité’; il y a des administrateurs culturels qui soutiennent et mettent en valeur ce processus auquel tous ceux qui luttent pour l’équité et ‘l’empowerment’ des femmes doivent participer. Je souhaite mettre en valeur aussi la contribution ‘activiste’ de collègues et de familles qui, depuis d’autres situations (comme le champ privé), accompagnent notre participation dans le réseau, dans le cadre de nos rencontres autogérées et auto-déterminées qui nous emmènent à confluer lors de notre réunion annuelle ‘auto-convoquée’. Celle-ci nourrit notre développement professionnel et personnel, dans un espace conçu pour nous-mêmes par nous-mêmes (ndlr: au féminin en espagnol ‘por nosotras para nosotras’). C’est pour cela que le réseau est fondamentalement composé par des femmes, mais cela ne veut pas dire que ce soit ‘un ghetto’- cela est une condition première pour nous».

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Romina m’a également parlé de ce point de départ, et dont les conséquences se ressentent clairement dans ses commentaires précédents. Elle tient à rappeler certaines constatations sur la composition des panels des conférences, sur la manière d’aborder les thèmes… «Nous croyons à l’importance de construire nos narratives propres (…) en nous questionnant sur notre travail… est-ce qu’il y a une manière différente de gestion du point de vue des femmes (plus 360°, plus sensibles, plus intuitives, plus complexes?). Nous sommes convaincues du besoin de garantir l’équité des opportunités pour que les femmes puissent participer pleinement à la vie culturelle, et ce en tant que droit humain».

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Un réseau stimulant, au sens collectif, généreux

Rafael: Qu’est-ce qui vous excite le plus dans votre participation au réseau ?

Romina: «La construction collective, basée sur le respect, la reconnaissance, les liens personnels qui se tissent, dans le cadre d’un espace où nous nous rencontrons pour des ‘raisons professionnelles’ spécifiques du domaine culturel et dans le contexte de la situation des femmes au niveau mondial (…) C’est un espace où le politique et l’individuel vont de pair. Nous bâtissons une communauté de femmes, qui travaillent ensemble, en faveur des droits de toutes les femmes».

Susana: «Moi, ce qui m’enthousiasme le plus… c’est l’enthousiasme du réseau! C’est comme si nous étions de vieilles amies qui se retrouvent, et à chaque fois c’est nouveau, c’est généreux; personne n’est pas là pour briguer une chaire, on dit ce qu’on pense, on pose des questions, on partage, on visite. Cela me rend heureuse. Cela nous permet de prendre de l’air et de redémarrer (…), et nous incite à nous dépasser et à ne pas tomber dans des stéréotypes: ne pas préjuger, tête et corps disponibles pour recevoir, modifier, donner… nous participons à un voyage de découverte à chaque fois».

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Des conférences aux programmes riches, variés et ancrés sur de besoins concrets

En effet, un simple parcours d’un programme de leur rencontre annuelle permet de cerner l’ample portée de leurs ambitions.  Par exemple, celui de Quito qui apparaît sur leur site internet (en espagnol, cliquez sur l’image).

Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 1/2
Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 2/2

Rafael: Vous étiez intervenantes lors de la rencontre de Quito, est-ce que vous pourriez partager avec nous des idées sur le contenu de vos présentations qui vous semblent essentielles ?

Romina:  «A Quito, il m’a semblé très important de proposer une présentation qui donne matière à controverse, sur les mauvaises féministes, c’est à dire, en reconnaissant nos contradictions; il faut être conscient que ces contradictions se déroulent dans la réalité et qu’elles vont au-delà du niveau personnel. Cela nous demande de nous engager pour le développement de stratégies créatives, sensibles, liées à la lutte pour l’équité et contre les violences, les abus et les sexismes, dont nous souffrons quotidiennement, et qui dépassent nos situations personnelles. Cette réalité historique et universelle doit nous retrouver unies et actives si nous ambitionnons un changement culturel; un changement de paradigme que nous considérons prioritaire, en tant que femmes, et ce à partir du secteur culturel. Après avoir expliqué ce cadre général, ma présentation s’est focalisée sur l’analyse de la situation des femmes à l’intérieur du secteur culturel et sur le nécessaire travail en réseau pour faire face à cette situation».

Susana: «Pour ma part, j’ai décidé de participer en organisant un atelier (cela fait déjà deux éditions). Depuis des années, je souhaitais mettre en mouvement les administrateurs de projets culturels (…) et j’ai trouvé une technique théâtrale, la méthode des actions physiques, qui m’a semblé pertinente pour ce faire. Je dois ajouter que mon idée de départ a évolué à partir de sa mise en pratique, notamment lors des événements des «43 disparus» au Mexique. En effet, j’ai guidé cet atelier juste quelques jours après ces faits, et alors que sur nos têtes survolaient des hélicoptères, nous nous sommes retrouvés à réagir viscéralement en dansant, telle une rencontre ancestrale. Cela a été une révélation, la technique prenait là une tout autre dimension. Pour l’anecdote, j’ai souhaité changer le nom de l’atelier pour qu’il s’appelle ‘Taller de Amorosidad’ (jeu de mots intraduisible avec ‘amour’, ‘a-morosité’…) mais on lui préfère le nom plus formel ‘Méthode des actions physiques pour la gestion culturelle'».

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Susana Salerno avec Felipe Mella et Rafael Mandujano lors du Campus euroaméricain de coopération culturelle à Las Palmas de Gran Canaria, décembre 2010.

Les étapes suivantes de la vie du réseau

RafaelQuelles sont les prochaines activités du réseau, à court et moyen terme?

En plus de la toute récente édition de la rencontre internationale du 14 au 17 décembre 2016 à Buenos Aires, Romina signale que «nous soutenons des projets locaux et des initiatives des membres du réseau qui favorisent l’articulation entre les participants, par exemple à travers les réunions ‘Féminas’ (en Argentine, au Chili) où les projets lient les femmes et leurs territoires. Nous faisons également des dynamiques 2.0 à travers les réseaux sociaux, pour développer des campagnes sur les droits des femmes. Nous avons un projet portant sur des ateliers de formation en matière du genre dans le domaine des politiques publiques de la culture, et de sensibilisation sur les droits culturels des femmes. Nous souhaitons aussi lancer des projets de recherche sur la relation des femmes et le patrimoine (thème de la dernière rencontre). Et nous abordons activement la production collaborative de la prochaine conférence; nous avons décidé de développer des liens avec d’autres réseaux de femmes et d’inciter la participation d’organisations dans le domaine de la coopération.»

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Visiblement, le réseau «Mujeres x la Cultura» n’a pas, quant à lui, peur de porter de hautes ambitions! Parmi de nombreux réseaux culturels, il fait preuve de pertinence et d’énergie partagée. Je suis sûr que dans les années à venir le réseau continuera à connaître un grand succès.

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Le réseau a une page Facebook que je vous recommande – très active notamment lors de leurs rencontres. Si vous comprenez l’espagnol, n’hésitez pas à visiter le site ‘Mujeres x Cultura‘ pour plus d’information.

1: Indigènes: Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée (http://www.cnrtl.fr/definition/indigène)

Biographies

Romina Bianchini (Argentine)

romi_profile_arts_summitEn 2003, Romina a créé la plate-forme internationale d’administrateurs culturels “Proyecta Cultura”. Romina est coordinatrice du Réseau d’Art Urbain ‘Neural’ depuis 2011. Elle travaille actuellement au Centre Culturel Recoleta, à  Buenos Aires,  au sein du département des contenus.Activiste des droits de l’homme, Romina a travaillé depuis 2004 en tant qu’éducatrice dans le cadre d’ateliers sur les droits culturels dans plusieurs communautés à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes. Elle est spécialiste dans le domaine de la création et de l’administration de réseaux culturels internationaux pour la coopération au développement, et elle est consultante indépendante dans le domaine culturel depuis plus de 16 ans. Elle est aussi intervenante à l’Université National de La Plata (Diplôme technique de musique populaire).

Récemment, Romina a été intervenante lors du 7ème Sommet Mondial des Arts et de la Culture, à La Vallette, Malte, en octobre 2016.

Susana Salerno (Argentine)

foto_susi_fbActrice, productrice et administratrice culturelle. Au-delà d’un longue expérience dans le domaine du théâtre et du cinéma en tant qu’actrice, Susana a aussi une riche carrière en matière des politiques culturelles et de la coopération (coordinatrice des relations publiques et de la coopération internationale au sein du Ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires).

Elle a organisé les rencontres des Coalitions pour la diversité culturelle à Buenos Aires en vue de la préparation de la Convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO.

Susana a participé à de nombreux colloques, séminaires, festivals et congrès internationaux. Elle a aussi préparé et géré le projet ‘L’art contre la discrimination’ pour l’INADI. Elle développe des ateliers pratiques basés sur des techniques théâtrales. Susana travaille actuellement pour la télévision publique argentine.

La place de la Culture dans les journées «Open days 2011» et le FEC2011

Mes derniers billets ayant été écrits en espagnol au mois d’octobre, je reprends leur contenu afin d’en présenter un résumé en français. Ils concernaient la place du thème de la culture dans les « Open Days 2011 » et le « Forum européen de la Culture », conférences organisées toutes les deux par la Commission européenne et tenues à Bruxelles au cours des semaines centrales d’octobre.

 

La place de la Culture dans les Open Days 2011

Sous le slogan « Investir dans l’avenir de l’Europe: les régions s’engagent en faveur d’une croissance intelligente, durable et inclusive », la Direction générale de la politique régionale de la Commission européenne et le Comité des Régions de l’Union européenne ont organisé conjointement pour la neuvième fois les « Open Days – semaine européenne des villes et régions », du 10 au 13 octobre 2011 à Bruxelles, lors d’une période particulièrement importante de discussion sur les propositions de la « politique de cohésion 2014-2020 » qui venaient d’être publiées juste quelques jours avant.

Je faisais partie des 5.700 participants qui se sont rendus à Bruxelles pour un programme composé de 110 ateliers organisés autour de trois priorités thématiques : « Europe 2020 », « Une mise en œuvre plus efficace (better delivery) » et « aspects géographiques (geography matters) ». Le public était formé par des membres du CdR, des députés européens, d’autres élus, des experts et des praticiens de la politique régionale, des universitaires, des acteurs du monde de l’entreprise, des représentants des institutions de l’UE et des organisations de la société civile, entre autres.

Je me suis particulièrement intéressé aux ateliers dont le contenu était lié au secteur culturel et créatif (essentiellement 4 ateliers) ainsi qu’à d’autres traitant le thème du développement régional. Ici, je vais me référer essentiellement aux 3 ateliers suivants :

(1) Les Capitales européennes de la culture stimulent les industries culturelles et créatives

(2) Les industries culturelles et créatives : innovation et stratégies de spécialisation intelligente (smart specialisation strategies)

(3) Collectivités territoriales pour le patrimoine (historique et culturel) et pour le développement durable

Malheureusement, l’horaire de deux ateliers coïncidait et je n’ai pas pu participer à « Villes et régions créatives pour une Europe innovante ».

Les Capitales européennes de la culture stimulent les industries culturelles et créatives (mardi 11 octobre, 11h15-13h)

Modérateur de l'atelier sur les CECs et les ICCs

Dans le cadre des Open Days 2011, il n’est pas surprenant que l’un des axes pour aborder le thème des Capitales européennes de la Culture (CECs) soit l’impulsion donnée aux ICCs dans les programmes de certaines CECs invitées:

◦ pour l’année dernière, Essen – Ruhr 2010 (Allemagne)

◦ pour l’année en cours, Tallinn 2011 (Estonie) et Turku 2011 (Finlande), et

◦ pour les prochaines années, Maribor 2012 (Slovénie), Košice 2013 (Slovaquie) et Umeå 2014 (Suède).

Bernd Fesel, représentant du «Centre européen pour l’économie créative«, a rappelé, par rapport au programme de « Essen Ruhr 2010 », que leur démarche était basée sur un débat critique sur les thèses de Richard Florida dans le domaine des villes créatives. A Essen et dans la Ruhr une stratégie appelée « Creative.quarters Ruhr » a été développée et consistait en un processus participatif avec les acteurs culturels de la ville et de sa région et les parties prenantes pour la rénovation et la transformation de diverses installations industrielles qui abondent dans la région, en intégrant des stratégies durables qui favorisent les interactions interdisciplinaires, avec un accent sur le moyen et long terme (par opposition à d’autres actions ponctuelles uniques pendant l’année de la capitale). Il a également souligné le rôle de la communication et du networking avec les ICCs de villes comme Shanghai, Rotterdam, Košice, Rome et Londres. Enfin, il a donné un exemple très concret à travers le Dortmunder U, complexe culturel ambitieux qui comprend plusieurs institutions et entreprises culturelles et créatives et qui vise à renforcer les synergies entre toutes ces composantes.

Le représentant de Tallinn 2011, Toomas Vitsuit, avec une approche plus politique, a souligné la nécessité d’une plus grande coopération dans ce domaine entre les CECs et a révélé qu’une déclaration solennelle sera diffusée à la suite de l’expérience de cette année.

Mme Cay Sevón, représentante de Turku 2011, a rappelé qu’un bon indicateur d’une économie dynamique est le nombre d’employés liés au secteur culturel, directement ou indirectement. Cette année, outre la création d’un nouveau centre culturel – le LOGOMO – avec un investissement important du secteur privé (plus encore que celui de la ville elle-même), Mme Sevón a souligné le fait que les universités ont développé une relation étroite avec le programme de la capitale européenne de la culture, à travers 5 thèses de doctorat et 20 thèses de maîtrise sur des questions du développement et de l’impact du programme. Elle a également insisté sur le fait qu’ils ont abordé la relation entre la culture et la santé ainsi que la culture et le bien-être personnel en tant que composantes du programme.

La représentante de Maribor 2012, Lilijana Stepančič, a reconnu que dans la conception initiale du programme étaient prévus le renouvellement de chaque espace culturel de la ville et la promotion de leur utilisation pour des activités liées à la créativité. La crise économique a empêché la mise en œuvre de cette volonté et l’accent devait changer bien évidemment. Alors que Maribor a déjà un développement culturel à fort potentiel, le sujet des ICCs n’était pas dans le cœur du programme, mais leur intérêt a été reconnu, de sorte que diverses expositions et conférences aborderont ces concepts et serviront de plate-forme pour les développements futurs au-delà de 2012.

Pour 2013, le représentant de Košice, Michal Hladky, a renvoyé aux réflexions de Richard Florida sur les trois T: technologie, talent et tolérance. En fait, il est possible de constater que le programme a déjà un vocabulaire lié à une certaine vision de l’innovation et de la créativité, le programme s’appelle clairement «Košice Interface 2013», la culture est « le programme », le citoyen est « l’utilisateur » et la ville « l’interface ». Il a également mentionné la relation avec l’université, les centres culturels, les résidences artistiques (Kasarne / Kulturpark) et les « pépinières » créatives, soulignant les points forts et les enjeux dans la ville: les arts visuels et les nouvelles technologies, la musique, le cinéma et les documentaires, la vie urbaine… La démarche va au-delà de la ville elle-même, impliquant sa région (Pentapolitana, en Slovaquie orientale), la ville de Prešov avec laquelle ils ont un partenariat. Ils prêtent aussi une attention particulière aux pays voisins qui sont en dehors de l’espace Schengen. Enfin, l’intervenant a mentionné un exemple de la liaison avec la communauté locale pour promouvoir le programme : en raison des changements technologiques liés au chauffage urbain, un certain nombre de bâtiments sont devenus obsolètes. Le programme a sélectionné des bâtiments dans cinq arrondissements afin de les transformer en centres culturels communautaires.

La dernière CEC représentée était Umeå 2014 (Suède), probablement l’intervention qui répondait le mieux au thème de l’atelier. Mme Anna Olofsson s’est penchée sur la façon dont sa ville assure la promotion de l’entrepreneuriat, la créativité et l’innovation, dans le cadre – et en dehors – du programme de la future capitale. Umeå est une ville moyenne dans le nord de la Suède, avec une population d’environ 150.000 habitants. Elle dispose de deux universités et d’une jeune population. Mme Olofsson a déclaré que dans sa ville on préfère parler d’individus (entrepreneurs) plutôt que d’industries et que l’accent est mis sur la formation dans ce domaine depuis l’école, à travers un programme couronné de succès appelé « jeunes entrepreneurs » et qui permet à ceux qui souhaitent s’orienter dans le domaine des entreprises créatives de bénéficier de l’aide des pépinières d’entreprises qui encouragent l’auto-emploi et la création. Par ailleurs, on favorise la génération d’une atmosphère créative dans la ville dans ses lieux culturels, commerces, bâtiments… ainsi que la promotion du travail en réseau et la diffusion de l’information sur les sources de financement pour les projets. Un aspect important de l’orientation fournie par la politique de la ville est celui d’enseigner aux entrepreneurs créatifs comment améliorer la rentabilité de leurs entreprises sur le long terme, de manière durable, et faire émerger des modèles d’affaires efficaces qui puissent inspirer les autres (enabling strategies / stratégies qualifiantes).

En plus de ces intervenants, un espace a été ouvert à un représentant de la région de Perm (Russie) qui a dévoilé la dynamique de création qu’est en train d’adopter la région et sa capitale afin d’être un modèle dans le domaine culturel – cela a aussi déjà été présenté par le New York Times – à travers la sensibilisation et la coopération internationale (signature de l’Agenda 21 de la culture, future adhésion au réseau Eurocities…).

Les industries culturelles et créatives : innovation et stratégies de spécialisation intelligente (smart specialisation strategies S³) (mardi 11 octobre, 14h30-17h)

Atelier sur les ICCs et les S3

Animé par Xavier Troussard, Chef de l’Unité « Politiques culturelles, diversité et dialogue interculturel », le séminaire a comporté cinq exposés sur la relation entre les ICCs et les stratégies de spécialisation intelligente. Le fondement de cette analyse se trouve dans la communication « La contribution de la politique régionale à une croissance intelligente dans le cadre de la stratégie ‘Europe 2020’ » qui indique que « les industries culturelles et créatives, qui se développent au niveau local et régional, occupent une position stratégique pour relier la créativité à l’innovation. Elles peuvent contribuer à stimuler les économies locales, encourager de nouvelles activités, créer des emplois nouveaux et durables, avoir des retombées significatives sur d’autres industries et accroître l’attractivité des régions et des villes ». Elles ont donc un rôle important à jouer dans l’analyse et la mise en place des stratégies de spécialisation intelligente. Chaque intervention a été très précise et je préfère vous référer aux présentations qui se trouvent sur le site web des Open Days à partir des liens suivants. D’abord, Mme Luisa Sanches, analyste de politique sur l’innovation à la Commission européenne, a proposé un cadre conceptuel sur les stratégies de spécialisation intelligente (). Elle a signalé qu’il n’était pas question de « spécialisation » en termes de concurrence entre les régions, mais de diversification de technologies spécialisées et de fertilisations croisées entre secteurs. Elle a présenté un schéma sur les grands clusters au Danemark où la relation entre les industries de « l’expérience », la mode et le design apparaît clairement. Par ailleurs, une plate-forme sur les  a été constituée qui mettra en relation les régions européennes, les centres de recherche universitaires (comme l’Université de Séville), les unités de la Commission européenne et autres parties prenantes dans la stratégie. Pour l’instant, la communication sur ce sujet est en préparation en même temps que l’évolution du projet est peaufinée. Ensuite, Mme Sylvia Ammann, Directrice de « Inforelais » et représentant la collectivité territoriale allemande du Landkreis Lüchow-Dannenberg, a présenté un exemple concret de mise en réseau des ICCs dans leur territoire, ce qui leur a permis de développer un projet européen d’échanges d’information et de réflexion sur les politiques en faveur des ICCs, financé en partie par le programme INTERREG IVC. Par ailleurs, M. Ragnar Siil, sous-secrétaire d’État du Ministère de la Culture d’Estonie, a pour sa part abordé la question de manière plus politique, en citant notamment un manuel de politiques qui identifie, compare et modélise de bonnes pratiques dans le domaine des ICCs. Il s’agit de l’objectif d’un groupe de travail dont il est président dans le cadre de la méthode ouverte de coordination employée pour un dialogue structuré avec la Direction Générale Éducation et Culture et qui cherche à promouvoir la création des conditions nécessaires pour le développement des ICCs, pour leur consolidation et pour mettre en évidence leurs résultats positifs dans d’autres domaines de l’économie. En outre, Mme Claire Nauwelaers a réalisé une intervention détaillée sur l’apprentissage tiré du travail sur l’innovation dans le cadre de l’OCDE. Enfin, M. Mike Coyne, du Centre pour les services de stratégie et d’évaluation, a cité le travail de Dominique Foray et du groupe d’experts sur « la connaissance pour la croissance » en matière d’innovation et du processus de découverte. Il a aussi parlé des thèses de Richard Florida sur l’attractivité des régions à travers la promotion de la créativité et la stimulation des consommateurs sophistiqués et exigeants. Il a aussi cité le besoin de considérer des préoccupations sociales et environnementales (énergie, recyclage, biotechnologies, vieillissement de la population et santé publique). Il faut en effet changer les habitudes, promouvoir la participation des habitants et leur ouverture aux solutions innovantes.

Collectivités territoriales pour le patrimoine (historique et culturel) et pour le développement durable (mercredi 12 octobre, 14h30-17h)

L’atelier visait l’échange d’idées et de pratiques exemplaires, mettant l’accent sur le potentiel exploité et non exploité du rôle des acteurs publics et privés dans la relation entre culture et patrimoine historique par rapport au paradigme du développement économique durable. Pour les organisateurs de cet atelier, la considération de deux facteurs (diversité territoriale et diversité du patrimoine) peut servir de base pour l’approfondissement de l’analyse : les statistiques montrent que l’Europe concentre la majorité des sites du patrimoine mondial listés par l’UNESCO et ceux-ci sont néanmoins situés dans des territoires très différents. Cette réflexion fonde la mission de leur « conglomérat »  d’autorités locales européennes réunies avec l’ambition de peser davantage dans les décisions prises à Bruxelles sur les subventions pour les projets culturels liés à la conservation et à la valorisation du patrimoine de leurs territoires. Les membres représentent essentiellement le niveau municipal, de taille moyenne, certains sont périphériques, mais d’autres interviennent au niveau régional comme la Région de la Vénétie. Les dix présentations étaient assez hétérogènes, reflétant les différentes approches des membres, certains plus axés sur la défense politique de l’importance du patrimoine en tant qu’élément d’identité et de croissance économique, et d’autres sur la promotion touristique. Les participants provenaient d’Italie (région de la Vénétie, région de Toscane), du Portugal (Guimarães 2012), d’Espagne (Province d’Orense), de Serbie (Sumadija District), de Malte, de Slovaquie (région de Trencin), de Lettonie (Valmiera Ville), de Pologne (Région d’Opolskie) et d’Estonie (Saaremaa). On peut dire que leurs activités en tant que réseau sont au stade de gestation. Le modérateur a réitéré son intérêt pour la création d’une «efficacité collective» grâce au partage de leurs expériences.

Quant à l’atelier 4 « Villes et régions créatives pour une Europe innovante », auquel je n’ai pas pu participer, son objectif était de montrer comment les villes et les régions créatives mettent l’innovation et la culture au centre de leur travail. En apportant le progrès dans tous les domaines – économique, social et culturel – les villes et les régions améliorent leur attractivité et la qualité de vie des habitants et promeuvent la compétitivité. Elles génèrent des dynamiques créatives qui animent l’économie fondée sur la connaissance, la croissance économique et la revitalisation sociale. Dans le cadre de la stratégie de l’Europe 2020, il faut identifier de nouvelles voies pour que les activités innovantes liées à l’économie créative puissent enrichir un territoire. Le rôle de l’art et de la culture en relation avec la créativité, l’innovation et la compétitivité sur un territoire a été expliqué dans le cadre de cet atelier. Une présentation sur la région polonaise de Wielpolska est disponible.

Après ces journées, une pensée personnelle s’est solidement confirmée : si nous devions déceler pour les prochaines années la priorité dans le domaine des politiques culturelles promues au niveau des autorités de l’Union européenne, ce serait l’accent mis sur la relation entre la culture, l’innovation et la créativité, et ce en soulignant notamment le thème des « industries culturelles et créatives » (ICCs). Cette orientation est fondée en partie sur la reconnaissance de la contribution de la culture à l’économie et à la croissance économique dont la démonstration et la défense ont occupé de nombreux forums, des réunions et des formations au cours des dix dernières années. La tendance a été confirmée en particulier depuis que 2009 a été proclamée « année européenne de la créativité et de l’innovation » par initiative de la Commission européenne (Direction générale Education et Culture). Dans le cadre de cette année a été élaboré et publié le «Livre vert – Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives ». Actuellement, il semble que le nouveau programme dédié à la culture pour la période de programmation 2014-2020 comportera des éléments du programme « Culture », « Media » et « Media Mundus » dans un programme intégral qui donnera un rôle central – presque hégémonique – à l’innovation et les ICCs. Ces tendances ont été au cœur du programme des journées « European Culture Forum », organisées par la Direction Générale Education et Culture.

Atelier Collectivités territoriales pour le patrimoine et le développement durable

Forum Européen de la Culture  2011

Le « Forum européen de la Culture » a été organisé par la Direction Education et Culture de la Commission européenne et a eu lieu les 20 et 21 octobre 2011 à Bruxelles. Je faisais partie des 800 participants inscrits issus du monde des organisations artistiques et culturelles européennes, experts et praticiens des politiques culturelles, représentants de fondations, porteurs de projets, universitaires, représentants des institutions de l’UE, des organisations de la société civile, des industries culturelles et créatives, entre autres. L’inscription a été ouverte en juillet 2011 et les participants ont été invités en septembre à compléter un questionnaire afin de signaler les thèmes qui les intéressaient en particulier. Le programme a été composé par 4 séances plénières et 4 séances informatives (avec des ateliers simultanés). Les présentations et les résumés sont disponibles sur la page du site internet de la Commission européenne – Culture. Pour accompagner le programme, un concert de l’Orchestre de chambre d’Europe a été offert afin de fêter le 30e anniversaire de cet ensemble musical soutenu par l’UE.

Il me semble nécessaire de rendre compte de certaines inquiétudes et postures tacites des organisateurs et des participants.

« La contribution de la culture à l’économie : un long débat fatigant »

Malgré des présentations qui mettaient en valeur l’importance de la culture et sa contribution aux diverses facettes de la vie des habitants de l’Union européenne, il a été rappelé par Rudolf Niessler, représentant de la Politique Régionale de la Commission européenne, que pour fonder la demande d’un budget plus important pour la culture, il faut des preuves concrètes de sa contribution économique. Alors que quelques minutes avant, le Professeur Pirluigi Sacco venait de présenter clairement l’état des recherches en cours sur les effets indirects ou ‘invisibles’ de la culture! Il y avait eu aussi la question de Ilona Kish, qui semblait un peu découragée : « Pourquoi est-il encore difficile de convaincre ceux en dehors du secteur culturel ? ». Cela a montré encore une fois des contradictions flagrantes par rapport à des déclarations d’autres personnes et des documents de la propre Direction de la politique régionale. Et en même temps, c’était un témoignage du manque de mémoire sur l’analyse et les recherches qui ont été faites par et pour la Commission européenne dans ce domaine, il suffit de citer les deux dernières études : « La contribution de la culture au développement local et régional – les fonds structurels » étude réalisée en 2010 par le Centre pour les services de stratégie et d’évaluation (CSES) et ERICArts et « L’économie de la culture en Europe », étude réalisée en 2009 par KEA European Affairs, en collaboration avec Media Group (Turku School of Economics) et MKW Wirtschaftsforschung GmbH.

« La tour d’ivoire »

Considérons maintenant ma deuxième question de préoccupation. En cette période de grande incertitude, en vue des éléments à ma disposition en tant que citoyen et en tant qu’acteur dans le secteur culturel, la situation est comme si nous allions en bateau à travers une zone de brouillard intense, sans savoir s’il y a des icebergs, ou même, sans savoir s’il y a déjà eu une collision avec l’un de ces icebergs. Toutefois, lors de la conférence, on semblait naviguer dans des eaux calmes et sous un ciel clair. Je veux dire que la crise actuelle n’a pas reçu la place qu’elle méritait dans les réflexions. Honnêtement, j’ai senti qu’il n’y avait aucune prise de conscience de la situation économique traversée par l’Union européenne. Il n’y a presque pas eu de commentaires sur les contraintes budgétaires. Aucune voix ne s’est élevée pour demander que le futur programme « Europe créative » prenne en compte la crise et ses effets déjà perceptibles aujourd’hui. Peu de gens semblaient penser aux manifestations « monstre » qui avaient lieu à Athènes ces jours-là ou les mouvements des « indignés » qui se propagent à travers le monde …

Public, es-tu là ?

Compte tenu de ces deux situations, on aurait pu s’attendre à une dynamique plus active, plus questionnante, moins passive… Je ne pense pas que c’était une question de manque de temps. Les questions et commentaires ont été peu nombreux et les participants manquaient de vitalité. Le ton politiquement correct a prévalu. Le public était-il en quelque sorte fatigué « des mêmes discours» ? Avaient-ils peur de générer des controverses ? Est-ce qu’il est difficile de discuter avec les autorités de la Commission européenne car d’une certaine manière elles représentent la source des financements pour les projets européens ? Je suppose qu’il y avait un peu de tout, y compris la timidité habituelle à intervenir en présence de 800 collègues, la fatigue après plusieurs présentations, ou la faim … mais les sandwichs froids pouvaient attendre…

Et pourtant elle tourne …

Bien sûr, je suis plus que convaincu de l’utilité des conférences de cette nature, car elles réunissent un large éventail de représentants de la culture en Europe et au-delà. De nombreux contacts peuvent être établis à partir des discussions formelles ou informelles, avec des effets directs et indirects qui sont précieux et qui participent à l’intégration européenne et au développement culturel à l’intérieur et en dehors de son territoire.

Nous ne devons pas oublier ce qui se passe dans d’autres contextes, et il a été très positif de citer le cas de la Biélorussie, où les droits humains sont systématiquement bafoués, comme Natalia Kali l’a exposé.

Dans deux ans, si le Forum Européen de la Culture est toujours organisé, j’espère qu’il y aura une plus grande possibilité d’interaction entre les participants, en s’appuyant sur les TICs, et que les points indiqués par les participants dans le questionnaire préalable seront pris en considération plus efficacement.