Helsinki: Journée d’études sur la culture et le développement durable (3)

La conclusion du compte-rendu de la journée du 10 octobre 2023. Il a été question de l’urbanisme durable et de la régénération urbaine basée sur la culture à Helsinki et dans sa zone métropolitaine, ainsi que des initiatives culturelles locales (grassroots) liées à la pratique DIY (Do it yourself) dans un contexte d’évolution de l’urbanisme à Tampere et à Helsinki.

TROISième des trois parties

La journée d’étude organisée par le réseau européen ENCATC s’est terminée à l’Académie de Théâtre de l’Université des Arts d’Helsinki (Uniarts) par trois présentations. L’objectif de cette série d’interventions était clairement lié à l’évolution de la stratégie locale vers une démocratie culturelle participative, avec des succès et quelques tensions – pas insolubles heureusement.

La première partie du compte-rendu peut être consultée sur ce lien. Le thème de la présentation était la mode et le design durables. Quant à la deuxième partie, elle traite de l’intéressante expérience de collaboration en réseau du secteur de la musique live en Finlande (ELMA.live) et du non moins prometteur projet LuoTO en faveur de l’économie circulaire dans le secteur culturel de la région Helsinki-Uusimaa.


VISITE 3 – ACADÉMIE DE THÉÂTRE

L’idéation du contenu de cette étape de la journée d’étude a été réalisée par Jenni Pekkarinen, doctorante en politique culturelle à l’Université de Jyväskylä. Actuellement, en plus de mener ses recherches doctorales à l’Université de Jyväskylä, Jenni Pekkarinen travaille comme planificatrice de projets à l’Université des Arts d’Helsinki. Ses principaux thèmes de recherche comprennent, entre autres, la planification culturelle, la participation, la citoyenneté culturelle et la durabilité culturelle. Dans sa thèse, elle examine les aspirations à la durabilité culturelle et l’impact des programmes des capitales européennes et ibéro-américaines de la culture, en se concentrant spécifiquement du point de vue des écosystèmes des arts visuels. Elle a également été active dans des associations culturelles et est actuellement secrétaire du conseil d’administration de la Society for Cultural Policy Research en Finlande ainsi que trésorière du conseil d’administration de Selkokulttuuri, une association qui promeut les arts et la culture linguistiquement accessibles en Finlande. D’ailleurs, un article particulièrement intéressant de Jenni Pekkarinen vient d’être publié en anglais sur l’analyse de la considération de la participation de divers groupes minoritaires de jeunes dans le programme de la candidature de la ville d’Oulu pour le titre de Capitale européenne de la culture 2026.

A. Helsinki : actions de développement culturel, social et urbain pour prévenir les inégalités dans la capitale finlandaise

Le premier intervenant de cette série était Timo Cantell, directeur de l’unité de statistiques urbaines et de recherche de la ville d’Helsinki. L’unité, composée de plus de 40 experts, produit des données et des analyses sur le développement d’Helsinki, notamment dans les domaines de la population et du bien-être, de l’économie urbaine et de l’emploi.

Présentation de Timo Cantell

En 2023, la région métropolitaine d’Helsinki compte 1,54 million d’habitants, dont environ 670 000 résident dans la ville proprement dite. Cette dernière devrait voir sa population croître jusqu’à atteindre 700 000 habitants d’ici 2028, avec des projections à 824 000 habitants d’ici 2050, selon les estimations de l’équipe dirigée par Timo Cantell. Cette augmentation démographique est principalement attribuée à l’immigration.

Historiquement, Helsinki et d’autres villes universitaires de Finlande ont accueilli une population relativement jeune, en particulier des jeunes adultes âgés de 20 à 35 ans. Néanmoins, la ville commence à vieillir progressivement avec le départ à la retraite de la génération du baby-boom, bien que cette génération reste active dans la société.

Helsinki est reconnue comme une ville prospère qui s’investit considérablement dans la réduction des disparités sociales, notamment dans les secteurs de la santé et du bien-être. Elle présente un mélange contrasté de quartiers, certains très prospères tandis que d’autres le sont moins. Cependant, à l’échelle internationale, Helsinki est perçue comme une ville où les inégalités sont relativement réduites.

Pourcentage de la population âgée de 25 à 64 ans ayant des études équivalentes ou supérieures à un Master en 2021.

Helsinki joue un rôle central dans les industries culturelles et les services connexes, ainsi que dans le domaine de l’éducation et de la main-d’œuvre associée à ces secteurs. Par exemple, environ 70 % des architectes d’intérieur finlandais ainsi que des artistes tels que des danseurs et divers autres professionnels créatifs sont concentrés dans cette zone.

La plupart des institutions culturelles d’Helsinki ont été établies au cœur de la ville depuis ses débuts, telles que l’Opéra national finlandais, la Galerie nationale finlandaise et deux théâtres nationaux (l’un en finnois et l’autre en suédois). Après la période difficile de récupération de la Seconde Guerre mondiale, un projet initié dans les années 1970 visait à créer des centres culturels bien répartis dans les quartiers périphériques d’Helsinki. Cela a conduit à la création de trois centres culturels entre les années 1980 et 1990, suivis ultérieurement par la construction de deux autres centres.

Par exemple, celui qui a ouvert ses portes en 1984 sous le nom d’Itäkeskus Multifunction House, a été rebaptisé Stoa, Centre culturel de l’est d’Helsinki en 1993. Il s’agit du plus ancien centre culturel local à Helsinki. Le deuxième, Kanneltalo, a été inauguré en 1992, suivi par Malmitalo en 1994.

Bien que les termes «planification culturelle» et «cartographie culturelle» n’aient pas été explicitement utilisés au début de cette politique de développement culturel, en réalité, ces idées étaient fondées sur de tels principes. Ultérieurement, les termes liés à la politique culturelle tels que «démocratie culturelle» et «démocratisation de la culture» ont été débattus. En somme, l’objectif principal était d’assurer une distribution équilibrée des services culturels dans les quartiers.

Les centres culturels comprennent divers équipements tels qu’une bibliothèque, une salle de concert, des centres éducatifs pour adultes, une cafétéria, des toilettes publiques, et ils accueillent des événements organisés par le département de la culture d’Helsinki et d’autres institutions associées. Ces bâtiments sont distincts des écoles. Chaque centre enregistre en moyenne environ 500 000 visites annuelles. Après la construction des trois premiers centres culturels, la politique a évolué vers la promotion d’activités, de programmes et d’actions plutôt que de se concentrer sur la construction physique. Cette approche a perduré, étant considérée comme offrant davantage de souplesse tout en maintenant les coûts fixes à des niveaux raisonnables.

Actuellement, le Département de la Culture et des Loisirs de la Ville d’Helsinki supervise huit centres culturels : Annantalo, Caisa, Kanneltalo, Malmitalo, Maison Maunula, Stoa, Théâtre Savoy et Maison Vuosaari. Ces centres proposent une variété de services culturels aux habitants d’Helsinki, comprenant des concerts, des représentations théâtrales, des expositions, des événements pour enfants et des programmes éducatifs artistiques. En été, l’Espa Stage organise également des concerts en plein air. Les événements organisés dans ces centres culturels résultent d’une collaboration étroite avec le secteur artistique et culturel d’Helsinki ainsi qu’avec les résidents de la ville.

La présentation suivante portait sur l’évolution d’un projet participatif visant à créer l’un des récents centres culturels, soutenu par la municipalité et d’autres partenaires. Ce projet vise à répondre aux besoins d’un quartier en pleine transformation et en expansion.


B. L’art met en lumière l’orientation du changement dans l’urbanisme.

La présentation a été réalisée par l’architecte Petri Leppälä, travaillant au sein du Département de l’environnement urbain d’Helsinki.

Pour Petri Leppälä, qui considère que l’architecture n’est rien d’autre qu’un cadre pour la vie elle-même, son approche du design interactif découle naturellement de ses expériences d’études en Finlande et au Danemark, lui permettant ainsi d’établir des comparaisons de première main. L’architecte Leppälä aborde la réintroduction de l’interaction humaine et des émotions dans le tissu urbain quotidien comme un défi stimulant pour les urbanistes et les architectes contemporains. Le Département de l’Environnement Urbain de Helsinki réunit toutes les actions essentielles de la planification générale et détaillée, tels que la circulation, le paysage et l’immobilier, en les réunissant autour d’une seule table pour favoriser l’émergence d’idées nouvelles et multidisciplinaires qui guident la conception urbaine.

Le travail de Petri concernant l’urbanisme du centre de Vuosaari a progressé vers une collaboration fructueuse entre les exigences du plan général visant à améliorer le pôle de services – le rendant plus convivial – et les échanges avec les résidents de Vuosaari. Cela s’est manifesté à travers une programmation minutieuse d’événements, d’expositions et d’ateliers au sein du centre culturel Vuotalo. Cette approche a apporté une valeur ajoutée en rapprochant davantage le débat public des objectifs mutuels lors de la réalisation des projets.

La mission principale était de renforcer le sentiment de communauté, d’encourager le développement positif et de mettre en avant les caractéristiques distinctives des quartiers en dehors du centre-ville, comme mentionné dans la première présentation de Timo Cantell. L’idée sous-jacente était de créer des occasions pour les habitants de divers quartiers de s’immerger dans la culture et d’intégrer l’art dans leur vie quotidienne. Au cœur de cette initiative résidaient l’interaction et la coopération entre les résidents locaux et les organismes artistiques, avec pour objectif de développer des méthodes de travail plus variées afin d’atteindre de nouveaux publics pour l’art et la culture.

Ce fut un processus d’urbanisme axé sur la participation des résidents, impliquant une interaction avec les parties prenantes du projet à travers divers moyens tels que la diffusion d’informations, des ateliers et des méthodes de conception. Une communication s’est instaurée avec les organismes d’urbanisme et immobiliers opérant dans la région de Vuosaari.

Une attention particulière a été portée aux activités artistiques impliquant diverses communautés et résidents, avec la collaboration d’un artiste résident travaillant en étroite collaboration avec les habitants.

En outre, un concours en conditions réelles a été organisé pour les étudiants des trois universités d’architecture finlandaises.

En somme, ce fut un exemple captivant de création collective d’un centre culturel avec la collaboration active des résidents, des étudiants et des professionnels. Ce processus n’a pas été réalisé en un jour… il s’est étalé sur une période considérable, essentielle pour garantir le succès du projet.

Grâce au modèle participatif d’Helsinki, l’offre artistique et culturelle est équilibrée et diversifiée au niveau local, contribuant au renforcement de la communauté, à l’amélioration de l’image positive des quartiers et à l’intégration culturelle des résidents.


C. Communautés : changer les villes depuis leurs racines

Cette présentation captivante a été animée par deux chercheurs qui ont mis en lumière les nuances des divergences entre les politiques élaborées par les organismes publics, qu’il s’agisse du gouvernement d’Helsinki ou de la ville de Tampere, et les activités culturelles émergentes au sein des communautés locales de ces villes, les deux plus grandes du pays. Dans ces situations, les priorités ne coïncident généralement pas au départ, donnant lieu à un dialogue dynamique s’épanouissant dans un cadre démocratique avancé tel que celui en vigueur en Finlande.

Présentation de Mikko Kyrönviita et de Antti Wallin. Photo de Rafael Mandujano.

Antti Wallin, PhD, est professeur de politique sociale à l’Université de Tampere. Il est membre du collectif de recherche du Tampere Center for Societal Sustainability et du consortium de recherche Towards Ecowelfare State. Ses recherches et son enseignement portent sur l’intersection des politiques urbaines, des espaces et de la vie quotidienne des habitants. Animé par le désir de comprendre les implications spatiales du changement social, ses recherches ont exploré des sujets tels que le vieillissement de la population dans les villes, la planification culturelle, le rôle de la base dans la planification urbaine, la densification urbaine et, plus récemment, les effets sociaux du développement urbain durable. Au-delà de l’enseignement et de la recherche académiques, Wallin participe activement aux débats publics et professionnels sur les questions urbaines et publie régulièrement des articles de vulgarisation sur les débats universitaires.

Mikko Kyrönviita est doctorant en politique environnementale à l’Université de Tampere. Il est membre du groupe de recherche Nature and Environment Policy et co-fondateur du collectif de recherche Insurgent Spatial Practices à l’Université de Tampere. Il mène ses recherches doctorales sur le skateboard et la culture de la construction de skate parks DIY (faites-le vous-même). Dans ses recherches, il se concentre sur les questions d’action politique quotidienne, d’apprentissage et de partage des connaissances, ainsi que sur la manière dont les appropriations et pratiques spatiales auto-organisées des skateurs ont abouti à de nouvelles formes de collaboration dans la gouvernance urbaine. Il est un membre actif de la communauté locale du skate et a participé à la planification du studio de skate du lycée Sampo et au développement du programme de skate avec le Festival du film de Tampere.

Introduction

Les villes sont en perpétuelle mutation avec l’augmentation de la densité urbaine, la régénération des anciens sites industriels, l’adoption de nouvelles approches en urbanisme (comme le nouvel urbanisme) et l’évolution de différentes cultures urbaines.

La culture, au cœur même de la société, englobe les coutumes et les expressions artistiques qui ont un impact sur la manière dont les individus vivent et s’engagent dans une découverte et un apprentissage créatifs.

Les individus jouent un rôle essentiel en tant qu’acteurs impliqués dans la création et l’évolution de leur environnement, participant activement à son développement.

Au-delà des aspects traditionnels de la planification urbaine, les villes se construisent socialement, influencées et modelées par les actions collectives et les modes de vie quotidiens de leurs habitants.

Les chercheurs ont ensuite brièvement présenté trois cas d’organisations populaires qui renouvellent les modes de vie en ville :

  • Tikkutehdas, une ancienne fabrique d’allumettes, à Tampere;
  • Hiedanranta, une ancienne usine de pâte à papier et zone industrielle, à Tampere; et,
  • Suvilahti, une ancienne centrale électrique et gazière, à Helsinki
Tikkutehdas DIY : faire de la politique de manière pratique

(Kyrönviita & Wallin, 2022) Les sentiments de mécontentement peuvent être un catalyseur puissant, incitant les individus à agir pour influencer et améliorer leur ville. Cela peut impliquer la création de nouvelles structures ou la résolution de déficiences qui persistent depuis longtemps dans le paysage urbain.

Dans cette optique, les citoyens apparaissent comme des acteurs politiques actifs, impliqués de manière proactive dans la création de leur cadre de vie, cherchant à concrétiser leurs aspirations pour des espaces urbains idéaux.

La politique urbaine quotidienne se concentre principalement sur la transformation des aspects ordinaires de la vie citadine, cherchant non seulement à introduire des changements, mais aussi à instaurer de nouveaux forums d’engagement civique, comme l’ont souligné Beveridge et Koch en 2019.

Ce processus dynamique agit comme un moteur, mobilisant les individus pour qu’ils contribuent activement au développement et à l’amélioration de leur environnement urbain.

Tikkutehdas en 2010 et en 2012. Photos de Mikko Kyrönviita.
Hiedanranta, Tampere : Dialectique de la culture et du développement urbain

(Rikala, S., Wallin, A., et Sjöblom J. 2023 ; Turku, V., Kyrönviita, M., Jokinen, A., et Jokinen, P. 2023) La réorganisation économique des villes engendre des friches urbaines, telles que des terrains abandonnés et une densification urbaine.

Les initiatives locales sont capables de réaffecter des espaces vacants ou peu utilisés à des fins spécifiques, remettant ainsi en question les normes établies en matière de développement urbain et les tendances actuelles.

Les efforts de développement urbain peuvent parfois tirer parti de la culture populaire pour cultiver des espaces urbains dynamiques et susciter un plus grand intérêt du public. Dans ce processus, des concepts tels que les usages temporaires, l’urbanisme tactique et l’urbanisme DIY peuvent être utilisés.

Il arrive parfois que les acteurs locaux et les entités de développement urbain partagent des objectifs communs en créant des environnements urbains dynamiques et vivants. Cependant, les motivations sous-jacentes diffèrent :

  • Les acteurs de terrain sont principalement motivés par des considérations culturelles et communautaires.
  • Le développement urbain, quant à lui, est principalement motivé par l’objectif d’augmenter la valeur des terrains et des biens immobiliers.

Suvilahti, Helsinki – Conflit : un scénario indésirable

Les participants ont mentionné le projet de réaménagement d’un ancien site industriel – le gazomètre de Suvilahti. La municipalité souhaitait initialement réaliser un projet de restructuration culturelle de grande envergure, typiquement planifié en collaboration avec les industries culturelles commerciales, plutôt que de préserver l’espace de skate populaire DIY créé par la communauté locale. Les tensions pour ce projet ont persisté au fil de ces dernières années, suscitant des manifestations de la part des résidents, qui aspirent à maintenir l’atmosphère communautaire non commerciale de cet immense espace. Notons que celui-ci n’a pu être converti en logements en raison des coûts élevés de la nécessaire décontamination. En tout cas, les autorités municipales ambitionnent d’en faire le plus grand centre d’activités créatives et spectacles d’Europe du Nord, tout en promettant de réintroduire un espace DIY (dédié à divers types de bricolage).

Suvilahti en 2022. Photo de Mikko Kyrönviita.

Que retenir de cette problématique ? Le tissu culturel constitué d’initiatives locales apporte une valeur économique importante à la ville, une idée que les autorités municipales accueillent avec enthousiasme. Ils exploitent à leur avantage le « facteur cool » inhérent à ces mouvements culturels, en utilisant des images visuelles saisissantes et une image de marque convaincante pour dresser un portrait vivant d’une ville dynamique et vibrante.

Cette image soigneusement sélectionnée et promue agit comme un aimant pour le tourisme et les investissements, propulsant la ville vers la croissance et la prospérité. Il est toutefois crucial de reconnaître que ces efforts bien intentionnés visant à façonner un paysage urbain plus prospère peuvent, à long terme, générer des tensions et des conflits.

Il est important de souligner que les conflits ne profitent à personne. En conséquence, les villes ont du mal à trouver l’équilibre délicat entre la réalisation de leurs objectifs de développement urbain et le développement du potentiel créatif de leurs citoyens. Cette double aspiration présente un défi urgent : découvrir des méthodes plus efficaces pour intégrer de manière transparente les valeurs culturelles dans le cadre du développement urbain durable, garantissant un avenir urbain harmonieux et prospère.

En guise de conclusion : Vers une ville durable par le bas

Les initiatives locales insufflent une nouvelle vie à la vie urbaine, ouvrant la voie à un rajeunissement sur de multiples fronts, englobant les dimensions matérielles, sociales et symboliques de l’existence urbaine.

Ces initiatives promeuvent la durabilité en réutilisant de manière ingénieuse les espaces et les ressources déjà existants pour répondre aux besoins locaux, favorisant ainsi le renforcement de la communauté et la création de connaissances et compétences. Par conséquent, elles remettent souvent en question les pratiques urbaines traditionnelles, créant ainsi de nouvelles associations dynamiques.

Dans ce contexte, certaines questions émergent :

  • Quel rôle les citoyens jouent-ils dans la conception collective de la vie urbaine quotidienne et dans la création d’une ville durable ?
  • Comment la gouvernance culturelle est-elle prise en compte dans cette équation complexe ?


Je tiens à remercier particulièrement les chercheurs Jenni Pekkarinen, Antti Wallin et Mikko Kyrönviita.


Helsinki: Journée d’études sur la culture et le développement durable (2)

Cet article est la deuxième partie de mon compte-rendu de la journée d’étude du 10 octobre 2023. Il aborde d’une part la présentation d’une plateforme numérique finlandaise dédiée à la planification durable de concerts et de festivals de musique, et d’autre part l’initiative visant à instaurer l’économie circulaire dans le domaine culturel de la région métropolitaine d’Helsinki. Ces deux initiatives mettent en avant des approches participatives et fédératrices dont bénéficient les acteurs clés impliqués.

Deuxième des trois parties

Une fois effectuée la visite des toutes nouvelles installations de l’Université Aalto, la journée d’étude à Helsinki organisée par le réseau européen ENCATC s’est poursuivie à l’Université des Arts d’Helsinki (Uniarts), tant dans son Académie des Beaux-Arts que dans l’Académie théâtrale.

La première partie de ce compte-rendu peut être consulté sur ce lien. Le thème de la présentation était «la mode et le design durables».

UNIARTS

L’Université des Arts d’Helsinki (Uniarts Helsinki) représente le plus haut niveau d’enseignement dans les domaines de la musique, des beaux-arts, des arts du spectacle et de l’écriture en Finlande. Reconnue à l’échelle internationale, Uniarts Helsinki se distingue par son engagement dans l’éducation et la recherche artistiques, promouvant ainsi le rôle transformateur des arts au sein de la société. Fondée en 2013, l’université est formée de l’Académie des Beaux-Arts, de l’Académie Sibelius et de l’Académie de Théâtre.

La philosophie de l’université affirme que l’art fait partie de la solution à la crise de la durabilité écologique.

En effet, le site Internet d’Uniarts Helsinki mentionne bien l’un des six objectifs majeurs de sa stratégie : intégrer l’art comme solution à la crise de durabilité écologique. Son programme environnemental établit des mesures concrètes visant à soutenir la contribution d’Uniarts Helsinki à un monde plus durable. À l’avenir, l’université cherchera à intégrer de manière plus étendue les connaissances relatives à la durabilité écologique et aux pratiques durables, à la fois dans ses programmes d’enseignement multidisciplinaires que dans ses activités de recherche et de création artistique. Elle s’engage également à réduire son empreinte environnementale en limitant l’utilisation des ressources naturelles et en diminuant ses émissions, avec l’objectif de rendre ses opérations neutres en carbone d’ici 2030.

Le document du programme environnemental est structuré autour de trois thèmes principaux, englobant un total de 23 mesures. Les objectifs et actions de ce programme ont été établis en 2022 à travers un processus participatif, offrant à tous les membres de la communauté l’opportunité d’influencer son contenu. Chaque année, la mise en œuvre du programme environnemental sera surveillée dans le cadre du processus de planification opérationnelle, avec des rapports transparents sur les progrès réalisés. Des mises à jour seront apportées si nécessaire, et ce processus sera finalisé au plus tard en 2024.


VISITE 2 – ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS

ELMA – Plateforme pour une industrie musicale durable

L’intervenante Anu Ahola (de Jazz Finland / ELMA.live) a exposé les progrès du projet phare en termes de durabilité dans le domaine de la musique live en Finlande: ELMA, une plateforme numérique dédiée à la planification, à l’éducation et à la diffusion d’informations.

Présentation de ELMA.live

À l’origine du projet en 2020, les principales organisations finlandaises dans le domaine de la musique live ont uni leurs efforts pour construire un secteur musical plus durable. Ce regroupement a donné naissance au réseau KEMUT, signifiant en finnois «boîte à outils pour un secteur de la musique live plus durable». L’objectif était de créer des outils concrets favorisant la durabilité dans ce secteur et d’encourager la scène musicale live à adopter des pratiques plus respectueuses du climat.

Au cours de cette année-là, le réseau a réalisé une enquête sur les pratiques éco-durables dans le domaine de la musique live. Les résultats ont montré que de nombreux acteurs du secteur en Finlande avaient déjà pris des mesures pour promouvoir l’éco-durabilité dans leurs activités. Cependant, pour fédérer tous les acteurs, il est apparu nécessaire d’établir une coopération étendue et de changer les mentalités : adopter des pratiques, des actions et des objectifs communs pour le secteur, ainsi que rendre accessibles à tous des outils pratiques.

Les partenaires du réseau KEMUT sont:
Finland Festivals
LiveFin
Music Finland
Musician’s Union
Finnish Jazz Federation
Association of Finnish Symphony Orchestras

Quel objectif vise la plateforme ? ELMA ambitionne d’incorporer la responsabilité et la durabilité (dans les aspects environnementaux, économiques, sociaux et culturels) au cœur des opérations quotidiennes de chaque organisateur, artiste et lieu de musique live.

Au cours de la phase initiale de développement de la plateforme, ses trois principaux composants ont été définis:

  • La formation via des supports pédagogiques ;
  • Le programme d’engagement comprenant un plan d’action (roadmap) pour élaborer, suivre et rendre compte des avancées de l’organisation ;
  • La communauté à travers une plateforme de réseautage, d’interaction et de partage des connaissances.

Les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies ont été adoptés comme cadre conceptuel. Les ressources éducatives d’ELMA, disponibles gratuitement (avec inscription obligatoire), proposent des explications et des recommandations sur la façon d’intégrer les ODD dans l’industrie de la musique live, ainsi que des pistes pour avancer vers la réalisation de ces objectifs tant dans le cadre professionnel que personnel.

Jazz Finland gère ELMA, avec la participation des autres membres du réseau KEMUT en tant que collaborateurs. Le projet a reçu un soutien financier du ministère de l’Éducation et de la Culture via un fonds dédié à la transformation des secteurs culturels et créatifs.

Pour créer le contenu d’ELMA, de nombreux matériaux ont été utilisés, produits par le secteur de la musique et d’autres professionnels de cette industrie créative, ainsi que par des spécialistes de divers aspects du développement durable. Le contenu continuera d’être enrichi et mis à jour en fonction des nouvelles ressources disponibles.

Parmi les sources d’information et d’inspiration figurent le Centre de recherche sur les politiques culturelles de Cupore, l’initiative Safe at Every Stage, IHME Helsinki, Julie’s Bicycle, le service Culture for All, le projet de transition Our Festival, les études et enquêtes de Music Finland, l’Association des festivals de la région de Tampere, le projet SKAALA de l’Union des musiciens, Sitra – le Fonds finlandais pour la célébration de l’indépendance de la Finlande, les projets de la Fédération finlandaise de jazz pour des tournées plus durables, Suoni ry, l’Institut finlandais de l’environnement, le Centre de promotion des arts (Taike), le projet LuoTo géré par le Conseil régional d’Uusimaa (décrit plus bas), le secteur Equal Music, l’Association des Nations Unies, ainsi que de nombreux autres sites Internet, articles, publications et médias.

Les autres collaborateurs de la plateforme incluent :

  • Positive Impact Finland : une agence de développement durable offrant des services complets axés sur le bien-être de la planète et de toutes ses formes de vie.
  • Tiketti : un précurseur finlandais dans le domaine de la billetterie et du marketing événementiel. Forte de sa créativité, de son expérience et de ses outils, l’entreprise accompagne chaque année des milliers d’événements à travers la Finlande.

Il est à noter que les informations concernant la «Feuille de route de la musique live» pour la Finlande, nommée Viileä musiikki en finnois, sont désormais disponibles en anglais. Cette feuille de route établit des objectifs climatiques communs pour l’industrie musicale, identifie les domaines d’action en matière climatique, et détaille les rôles spécifiques de l’industrie ainsi que les principales possibilités d’influence. Ces objectifs sont alignés sur les objectifs d’émissions de la Finlande pour 2035 et sur l’objectif climatique de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 degré Celsius, tel que recommandé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les principaux domaines abordés concernent les transports, l’énergie, la consommation et le changement culturel.


Projet LuoTo – Étapes pour un avenir durable dans les industries créatives

Présentation de Jaana Eskola, chef de projet pour les secteurs culturels et créatifs durables au Conseil Régional d’Helsinki-Uusimaa

Le projet LuoTo présente des propositions visant à orienter les industries créatives vers un avenir efficient et à faible émission de carbone, dans le cadre d’une économie circulaire. La région d’Helsinki-Uusimaa a été choisie comme terrain pilote pour ce projet; elle accueille près de la moitié des emplois de l’industrie créative en Finlande.

Outre le Conseil Régional d’Helsinki-Uusimaa, l’université Aalto, Uniarts Helsinki, le ministère de l’Environnement, Creasus ry et MyStash Oy forment le consortium qui dirige ce projet. Le financement de ce projet provient du Fonds finlandais d’innovation Sitra, du ministère de l’Environnement et du ministère de l’Éducation et de la Culture.

L’industrie a déjà entrepris de nombreuses actions visant à améliorer sa durabilité, comme l’a révélé une analyse préliminaire du projet. Cependant, ces initiatives sont souvent limitées dans le temps et les informations ne sont pas fréquemment partagées entre les différents domaines de l’industrie culturelle, et encore moins au-delà de celle-ci.

Quels sont les objectifs du projet ?

  • recueillir et partager les bonnes pratiques ainsi qu’améliorer les connaissances;
  • créer un aperçu des initiatives et des boîtes à outils de développement durable existantes en Finlande;
  • élaborer une feuille de route verte pour la transition écologique pour les secteurs créatifs sur la base des résultats des ateliers animés pour les secteurs spécifiques;
  • amplifier le rôle des arts et de la culture en tant que catalyseurs et terrains d’essai pour des modes de vie plus durables.

Il convient de mentionner la classification utilisée par rapport aux secteurs culturels et créatifs de ce projet :

  • Littérature et bibliothèques;
  • Musique et radio;
  • Cinéma, télévision, industrie audiovisuelle;
  • Industrie du jeu vidéo;
  • Design et mode;
  • Architecture;
  • Fêtes et événements;
  • Arts de la scène; et
  • Galeries, musées, arts audiovisuels, patrimoine culturel

Le projet a débuté en mai 2022. Des données sur la situation actuelle avaient déjà été rassemblées grâce à des enquêtes sur les initiatives et actions en lien avec les objectifs de durabilité (effectuées à l’automne 2022). Un chef de projet a été recruté en septembre 2022. De janvier à juin 2023, neuf ateliers ont été organisés pour les secteurs créatifs, un atelier pour les bailleurs de fonds des arts et de la culture, ainsi que deux ateliers pour les professionnels de la culture travaillant au sein des administrations municipales. La finalisation de la Feuille de route verte est prévue pour le mois d’octobre, ce plan d’action déjà évoqué pour une transformation écologique dans l’industrie créative, fruit d’une collaboration intersectorielle.

Quelques conclusions importantes ressortent :

Les industries créatives possèdent le potentiel d’améliorer la compréhension générale de la gravité des crises climatiques et de la diversité, mais cette opportunité n’est pas encore pleinement exploitée.

Ces industries ont la capacité d’influencer la culture et les comportements à l’échelle de la société en proposant des modèles de vie et de consommation respectueux des limites planétaires.

En assurant la vitalité et l’accessibilité du secteur créatif grâce à un financement de base adéquat, il devient possible de proposer des alternatives à une culture centrée sur la consommation.

Il est également observé que, dans une transition vers la durabilité, tous les secteurs de la société ajustent rapidement leurs activités pour respecter les limites de capacité, afin de répondre à la crise climatique et à la perte de biodiversité.

De plus, l’intervenante a souligné l’importance des municipalités et des métropoles dans l’établissement des fondements et de l’infrastructure nécessaires à une société durable sur le plan écologique. En effet, les collectivités locales peuvent jouer un rôle actif dans la promotion de la transition écologique au sein des secteurs créatifs en :

  • mettant en place des systèmes de transport public à faible émission de carbone
  • développant des solutions à faible empreinte carbone pour les bureaux, les salles de formation, les théâtres et les studios
  • veillant à l’intégration de la durabilité et de la sensibilisation écosociale à tous les niveaux de l’éducation artistique
  • établissant des critères de durabilité dans l’octroi de financements pour les initiatives artistiques et culturelles

La prochaine phase du projet débutera en novembre 2023, financée pour la période 2023-2024 par le Fonds pour la reprise et la résilience (RRF), dans le cadre du programme Next Generation EU de la Commission européenne. Les principaux objectifs de cette phase consisteront à :

  • mettre en application les conclusions principales de la Feuille de route verte;
  • combler les lacunes en matière de connaissances : proposer une formation sur le développement durable destinée aux professionnels de la création en Finlande;
  • établir une plateforme collaborative pour les initiatives de développement durable au sein des secteurs créatifs en Finlande; et,
  • renforcer les liens intersectoriels entre les projets axés sur le développement durable.

En outre, il a été recommandé de consulter le document « Feuille de route verte pour des expériences culturelles durables dans la région nordique » qui est le résultat du projet : «Expériences culturelles durables dans la région nordique» dirigé par « La Maison nordique des îles Féroé » dans le cadre du programme de vie durable du Conseil nordique des ministres (2021-24).


Dans la troisième partie de cet article, je rendrai compte des trois présentations proposées à l’Académie de Théâtre:

  • le modèle de développement culturel à travers les centres culturels d’Helsinki;
  • l’exemple d’un processus participatif pour développer le centre culturel Vuotalo;
  • les relations dialectiques entre les initiatives culturelles de base (grassroots) et celles des gouvernements locaux, avec des exemples de la ville de Tampere et d’Helsinki.

Helsinki: Journée d’études sur la culture et le développement durable (1)

En amont du congrès annuel du réseau européen ENCATC, j’ai assisté le 10 octobre 2023 à une journée d’étude portant sur la culture et le développement durable à Helsinki. L’objectif était de découvrir des projets novateurs d’institutions artistiques, culturelles et universitaires de la capitale finlandaise. Cette opportunité m’a permis de mieux appréhender leurs approches, que ce soit en lien avec l’économie circulaire ou avec des domaines tels que le design textile et les festivals. Nous avons aussi abordé la planification urbaine durable ainsi que la revitalisation urbaine centrée sur la culture à Helsinki et dans sa région métropolitaine. L’importance des habitants dans les processus de démocratie culturelle participative a été soulignée, même si cela a mis en lumière certaines tensions.

Intérieur de la Faculté de Design et Architecture de l’Université Aalto (Photo: Rafael Mandujano)

La durabilité et la transition verte étaient au cœur de cette journée organisée par le réseau européen ENCATC. Celui-ci joue un rôle crucial en tant que représentant, défenseur et promoteur de la gestion culturelle (cultural management) et de l’éducation supérieure dans le domaine des politiques culturelles. L’objectif d’ENCATC est aussi de professionnaliser le secteur culturel pour le rendre durable, tout en fournissant une plateforme de dialogue et d’échanges à l’échelle européenne et internationale.

Le programme comprenait des conférences et des visites organisées en deux phases successives se tenant dans des universités de renom:

Université Aalto

Problématiques générales

Selon les organisateurs, le désir et le besoin de devenir plus durables dans la façon dont nous comprenons, organisons et vivons la culture n’ont jamais été aussi forts. Des questions se posent néanmoins:

  • Comment y parvenir ?
  • Qu’est-ce que la durabilité en matière d’art et de culture ?
  • Comment la durabilité peut-elle offrir une nouvelle compréhension de la culture et comment la culture peut-elle offrir une meilleure compréhension de ce que signifie la durabilité ?
  • Comment les arts et la culture peuvent-ils jouer un rôle plus important dans le développement et l’agenda durables ?
  • Quelle est la contribution spécifique du secteur culturel ?
  • Comment une politique verte durable et innovante peut-elle faire une réelle différence pour les citoyens ?

Première des trois parties

UNIVERSITÉ AALTO – VISITE 1 – Conférence sur la mode et le design durables

Intervenante: Pirjo Kääriainen, professeure, Université Aalto.
Pirjo Kääriäinen est une passionnée de matériaux et designer textile qui travaille comme professeur de design et de matériaux à l’Université Aalto. Elle travaille à mi-chemin entre la recherche et la pratique et a participé à plusieurs projets de recherche dont le sujet sont les matériaux organiques (bio), notamment ceux à base de bois. Depuis 2011, Pirjo développe la collaboration interdisciplinaire CHEMARTS entre l’École des Arts et du Design (ARTS) et l’École de Génie Chimique (CHEM). L’objectif de CHEMARTS est d’inspirer les étudiants et les chercheurs de l’Université Aalto à développer conjointement des matériaux d’origine biologique et à créer de nouveaux concepts pour leur utilisation durable à l’avenir.

Parmi les masters du département de design de l’université, il en existe actuellement un axé sur la « Créativité durable » (Creative sustainability). En outre, parmi les principaux domaines de recherche de ce département, Pirjo a souligné «Le design pour la durabilité et l’innovation» en relation avec le Design Thinking, le design pour des transformations radicales, les innovations matérielles, l’entrepreneuriat et les entreprises, les défis sociaux et écologiques, entre autres sujets de recherche.

La recherche dans le Département de Design de l’Université Aalto (2023)

La présentation a illustré des exemples de l’évolution de l’approche durable dans le design textile et la mode. Pirjo a constamment mis en lumière les interrogations centrales : Quelle valeur ajoutée un designer apporte-t-il ? Selon quels principes ? Dans quelle mesure est-il justifié de soutenir la croissance de la consommation ?

Présentation de Pirjo Kääriäinen, professeure en design textile et matériaux

Pirjo a souligné l’importance de considérer dans une démarche durable les limites environnementales de la planète; les objectifs de développement durable des Nations Unies; et les principes de l’économie circulaire. Elle a également mis en avant l’impact environnemental et social de la production ainsi que de la consommation actuelle dans l’industrie textile. Par exemple, elle a mentionné que 35 % des microplastiques retrouvés dans les océans proviennent de sources liées à l’industrie textile.

Par ailleurs, Pirjo a évoqué leur groupe de recherche Fashion/Textile Futures, lequel est actuellement impliqué dans plusieurs projets de recherche importants.

Dans ce sens, un article recommandé par Pirjo est « Le prix environnemental de la fast fashion » de Kirsi Niinimäki et al (2020).

Les tendances de croissance de la production mondiale de fibres sont alarmantes (Source : Textile Exchange). La chaîne de valeur textile est particulièrement très étendue : production de fibres – production de tissus et fils – production textile – consommation – fin de vie… Mais l’industrie est de plus en plus consciente de l’impact. Par exemple, le rapport de Business for Fashion & McKinsey sur l’état de la mode 2021 notait qu’« une industrie de la mode plus circulaire nécessitera un effort collectif » et le rapport 2022 indiquait que l’emploi des textiles circulaires est déjà en augmentation en termes d’échelle et qu’ils doivent être pris en compte dans le processus de conception pour limiter l’extraction de matières premières et favoriser la réduction des déchets textiles.

Pirjo a également cité l’exemple de IONCELL (Ioncell-F), un procédé technologique durable qui convertit la pâte de cellulose, les textiles en coton usagés ou même les vieux journaux en nouvelles fibres textiles sans utiliser de produits chimiques nocifs ; la recherche sur les teintes naturelles et les colorants, tels que ceux utilisés dans le passé (notamment à travers la recherche sur les matériaux récupérés d’anciennes épaves de vikings par exemple) ; l’approche durable appliquée par les entreprises de recyclage qui cherchent à répondre aux traditions culturelles qui impliquent de grandes quantités de déchets tels que les fleurs et leurs pétales lors des mariages thaïlandais (projet d’une étudiante).

D’autres tendances concernent le potentiel d’inspiration biologique, comme la création de matériaux à base de champignons (mycélium); l’application de biotechnologies ou le génie génétique (avec leurs implications éthiques : les réglementations sont moins restrictives en Asie ou en Amérique que dans l’Union européenne). La question reste claire sur l’impact de l’arrivée de nouvelles matières (même si elles sont relativement durables) sur le consumérisme car elles entretiennent la tendance fast fashion ou la consommation effrénée et en volume important. Il est nécessaire de promouvoir un esprit critique et informé en direction des consommateurs.

Pirjo nous a également mis en garde sur le cas de la communication à travers la tension suivante : conception spéculative ou innovations matérielles concrètes? Elles représentent un défi, même lorsqu’il s’agit de dénoncer l’obstination à proposer des options de consommation plus larges – que l’on pourrait considérer comme dénuées de sens étant donné le contexte actuel.

Quant à la réparation, ils vont insister sur celle-ci dans leur programme pour concevoir en conséquence (éco-conception). Cependant, la limite de la réparation réside malheureusement dans la mauvaise qualité des matériaux sur le marché actuel.

En conclusion, Pirjo a formulé les recommandations suivantes :

  • adoptez une approche globale dans toutes les étapes de conception et de fabrication;
  • réduisez l’utilisation des ressources tout au long du processus de fabrication;
  • diminuez les répercussions environnementales lors de la production et de la distribution;
  • concevez pour une durée de vie multiple (plusieurs cycles de vie);
  • maintenez la transparence tout au long de la chaîne de valeur;
  • communiquez de manière transparente sans recourir au greenwashing!

Une initiative de recyclage des étudiants de l’Université Aalto

Dans la deuxième partie de l’article, j’évoquerai les présentations réalisées à l’Académie des Beaux-Arts et dans la troisième partie celles de l’Académie de Théâtre.


La bibliothèque Oodi met en valeur les ouvrages comme ceux-ci sur les initiatives « Zéro déchets »

Économie circulaire et coopération culturelle transfrontalière de proximité

« L’art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté ». André Gide

Ce court article a été élaboré à l’issue de ma participation à la formation «Designer Circulaire 2023 – Parcours Écosystèmes» de Villette Makerz.

Présentation

Une personne sur trois vit actuellement dans une zone transfrontalière au sein de l’Union européenne. Et bien que la construction européenne ait depuis longtemps visé à atténuer les effets pernicieux de ses frontières nationales intérieures sur ces espaces d’interface – à travers la politique régionale et des fonds considérables pour promouvoir la coopération de proximité – de nombreux obstacles de nature politique, juridique, fonctionnelle, structurelle, sociale, culturelle ou linguistique subsistent.

Face à ces contraintes, nous nous sommes posé la question suivante: les démarches d’économie circulaire dans le domaine des arts et de la culture sont-elles fatalement confinées aux cadres nationaux des États qui se juxtaposent ? 

Notre recherche nous a permis de cerner les manifestations émergentes de cette relation au niveau transfrontalier – niche de niches! – et de déceler les signes avant-coureurs d’une évolution que nous appelons de nos voeux.

A. Enjeux de l’économie circulaire dans le cadre de la coopération culturelle transfrontalière de proximité

1. Intersections transfrontalières: culture et écologie pour des territoires d’avenir durables

Les apports de la coopération culturelle transfrontalière de proximité (CCTP) en matière de développement d’activités économiques, de cohésion sociale, de cohésion territoriale ou de l’environnement, entre autres, sont mis en évidence et confirmés depuis plus de vingt ans. Aussi semble-t-il naturel que le secteur culturel transfrontalier s’empare des enjeux de la durabilité selon une vision étendue comme celle présentée dans l’Agenda 21 de la Culture. 

Dans le contexte actuel de fortes tensions écologiques sans frontières, l’économie circulaire (EC) se fait jour partout dans l’Union européenne comme l’une des réponses adéquates pour mettre fin à l’économie linéaire « extraire – produire – consommer – jeter ». Même si elle est déclinée différemment dans chaque pays et selon les secteurs, une convergence européenne ne semble pas irréalisable à terme. 

Pour la France en particulier, à partir de la conceptualisation des trois domaines et des sept piliers de l’action de l’économie circulaire élaborée par l’agence de la transition écologique ADEME, l’association ORÉE a adapté ce socle aux problématiques propres au secteur de la création artistique et de la diffusion culturelle: 

  1. La sobriété et les achats durables
  2. L’éco-conception
  3. L’écologie culturelle et territoriale
  4. L’économie de la fonctionnalité
  5. L’allongement de la durée d’usage
  6. La gestion et sensibilisation des acteurs et des publics et la programmation engagée
  7. La valorisation et le recyclage

Et voici le schéma circulaire :

À la fois, passées au crible des circonstances transfrontalières, les principales activités concernées par cette approche peuvent être, entre autres:

  • la mobilité des publics et des professionnels;
  • le transport d’oeuvres;
  • l’utilisation de réserves et de ressourceries mutualisées;
  • l’approvisionnement en matériaux durables;
  • l’éco-conception des décors, des scénographies et de la signalétique;
  • la restauration alimentaire (approvisionnement durable, élimination du plastique à usage unique et valorisation des bio-déchets);
  • les actions de sensibilisation;
  • la valorisation et réhabilitation du patrimoine historique et naturel transfrontalier (sentiers, fortifications alpines…); 
  • la logistique et le tri autour des décors et des éléments de scénographie en fin de vie…

Les liens avec l’éducation, le tourisme durable et le sentiment d’appartenance à une communauté d’avenir éco-responsable sont aussi à souligner, outre la propre créativité induite par la relation entre culture, écologie, économie responsable et solidaire… à travers des réseaux de part et d’autre des frontières.

2. Obstacles et freins: prendre la tangente à l’économie circulaire?

Force est de constater que malgré le potentiel de la relation entre la CCTP et l’EC, sa concrétisation peut se heurter à de nombreuses entraves, virtuellement paralysantes. Au-delà du rôle « accessoire » par trop souvent accordé à la culture dans le cadre des politiques publiques, les freins découlent de déséquilibres économiques, distances culturelles et inadéquations institutionnelles liés aux évolutions historiques propres à chaque État et sont aggravés par une série d’absences : de volonté politique et d’administration ouverte sur le voisin; de moyens financiers adéquats; de moyens juridiques appropriés; de compétences locales et régionales comparables; de passerelles administratives eu égard à la diversité de ces compétences et à la structure territoriale de chaque État; de capacités linguistiques; entre autres. 

Les obstacles et les limites sont donc multiples et leur énumération peut certes apparaître préoccupante car ils posent les bases des défis majeurs de la coopération transfrontalière que ni les institutions d’État ni les cadres juridiques ne favorisent guère non plus. Par ailleurs, les obstacles rencontrent souvent leur source au niveau des autorités étatiques nationales, bien plus qu’à celui des autorités communautaires.

La crise de la pandémie de COVID-19 a également rappelé la force des droits nationaux, tout en confirmant des dynamiques locales de solidarité.

Enfin, il faut rappeler que beaucoup de projets de coopération transfrontalière ont pu éclore grâce à l’existence des fonds de cofinancement d’Interreg et que nombreux sont aussi ceux qui ne peuvent pas se pérenniser au-delà de la période ainsi financée, malgré la pertinence de leur éventuelle continuation.  

Mais ces obstacles et freins ne sont pas insurmontables. 

« Plus grand est l’obstacle, et plus grande est la gloire de le surmonter ». Molière

B. Synergies et émergence d’actions dans le domaine de l’économie circulaire en relation avec la coopération culturelle transfrontalière de proximité

1. Relais et leviers

Nonobstant le manque d’une approche transfrontalière spécifique, ces dernières années l’évolution stratégique et technique des politiques européennes en matière d’EC a largement agi sur son développement au sein des États membres – par exemple avec le « Nouveau plan d’action en faveur de l’économie circulaire » adopté en 2020. Parallèlement, les régions frontalières se sont vu attribuer un rôle dans la mise en place du Pacte Vert pour la transition écologique pour l’Europe; dans ce sens, l’intervention de l’UE au travers les programmes Interreg de la politique de cohésion 2021-2027 décline localement les objectifs du Pacte Vert. 

Au cours des années à venir, bien de complémentarités incitatives et d’autres synergies se conjugueront et se renforceront mutuellement, permettant le cas échéant l’optimisation de l’EC en relation avec la CCTP dans des espaces plus intégrés. Des opportunités d’innovation pourront se traduire par des projets – et idéalement par des démarches transfrontalières pérennes – en se basant sur le bien-fondé de cette relation.

2. Terrains fertiles et réalisations embryonnaires

Il est possible de déceler des indices qui dénotent déjà le début d’un cheminement. Certaines expériences présentent d’abord une approche plutôt classique liée au développement durable, alors que d’autres abordent plus spécifiquement le terrain de l’EC. Voici quelques exemples:

a) « Nova Gorica Capitale européenne de la Culture 2025 » (Slovénie) et son programme transfrontalier avec Gorizia (Italie) contribuera solidement à l’affirmation de la CCTP dans le cadre du programme communautaire Capitales européennes de la Culture couronnant une belle trajectoire d’exemples liés à une volonté transfrontalière (Lille 2004; Luxembourg et Grande Région 2007; Mons 2015; Esch-sur-Alzette 2022…). Notons d’emblée que le jury de la première évaluation de sa préparation pour 2025 a signalé dans son rapport que « la sensibilité vers l’environnement a été démontrée ».  

Plusieurs projets sont à noter: 

  • « ECOTHREADS AND BIEN » sur l’innovation en éco-matériaux textiles, la mentalité durable, les expositions et les défilés de mode avec des matériaux upcyclés;
  • les laboratoires « ISOLABS » liant art et science, environnement, écosystèmes et transdisciplinarité;
  • « NO TIME TO WASTE » sur la mise en place d’actions pour la gestion Zero Waste dans le cadre de festivals et événements culturels;
  • « (AGRI)CULTURE, BIODIVERSITY » sur les ressources locales de nourriture et la biodiversité;
  • et « GO2GREENGO » sur l’importance de la durabilité et l’approche de la permaculture, y compris à travers une bibliothèques de semences.

b) Venons-en à présent au projet particulièrement ambitieux « DEMO » Durabilité et Écologie dans le secteur de la Musique et de ses Opérateurs qui a eu pour but de créer des synergies transfrontalières entre le monde de la culture et du développement durable ainsi que de favoriser la prise de conscience collective et la dynamique de changement de comportements en faveur de l’éco-responsabilité. Il a été cofinancé par Interreg entre avril 2016 et septembre 2021 à la frontière franco-belge.

  • Une charte d’engagement était signée par les partenaires du projet  afin de se fédérer sur le long terme.
  • Une cartographie transfrontalière de prestataires engagés a aussi été élaborée avec les fournisseurs d’énergie, de produits alimentaires et boissons, la collecte de déchets, les associations d’insertion, etc. 

En outre, ils ont réalisé un diagnostic environnemental de l’organisation de concerts chez les festivals et les salles, ainsi que d’une partie des actions mises en place à plusieurs niveaux: mobilité, gestion des déchets et matériaux, réduction énergétique, biodiversité, etc. Du matériel a été partagé ou prêté par les partenaires et le réemploi et réutilisation encouragés, y compris à travers des ateliers de formation. C’est en somme un projet qui pourrait mutatis mutandis servir d’exemple pour d’autres initiatives.

c) Citons par ailleurs le « CDuLaB », un projet pilote franco-suisse de création artistique, de formation et de recherche autour de la notion de durabilité réalisé par les théâtres Vidy-Lausanne et Les 2 Scènes-Scène nationale de Besançon, via une mutualisation des moyens, des ressources et des réseaux (2021-2022).

d) Mais revenons à la frontière franco-belge: le cas du festival transfrontalier annuel NEXT de théâtre et de danse dans et autour de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et Valenciennes. Il s’agit « d’une plateforme collaborative durable dans laquelle cinq co-organisateurs et quinze autres maisons d’art associées mettent en commun leur expertise, leurs ressources et leur savoir-faire chaque année ». En particulier, nous pouvons souligner sa longévité (déjà quinze éditions); leur approche sur la mobilité transfrontalière des publics lors du festival (diminution de l’utilisation de la voiture privée); enfin, l’étude en cours « CIRCULATIONS », menée en 2023 par les étudiants du programme du Master d’Expérimentation en Arts Politiques (SPEAP) fondé par le sociologue français Bruno Latour,  qui s’interroge sur l’habitabilité de l’espace de vie en commun et l’avenir, et considère particulièrement l’eau et la frontière.

e) Toujours à l’échelle de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, remarquons les « Trophées de la mode circulaire » organisés en partenariat avec l’ADEME et la Région Hauts-de-France, et ouverts aux candidatures de France, Belgique et Pays-Bas. Par ailleurs, l’approche innovante et interdisciplinaire du Parc Bleu de l’eurométropole est à suivre de près (notamment le Projet Bloom sur la transition bio-inspirée).

f) Dernier exemple, mais non des moindres, les activités transfrontalières de « La Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieur (MEA) » qui est une association franco-allemande de rayonnement trinational (France, Allemagne et Suisse) créée en 2005, dont l’objectif est de communiquer sur l’architecture contemporaine auprès du grand public. Son champ d’action s’étend sur un large territoire: l’Alsace (France), le Bade-Wurtemberg (Allemagne) et les deux cantons de Bâle (Suisse). En particulier, elle organise chaque année à l’automne le festival « Les Journées de l’architecture | Die Architekturtage » qui se déroule dans une vingtaine de villes situées dans la région transfrontalière avec environ 150 manifestations en deux langues qui rassemblent plus de 40.000 visiteurs par an. Le thème des Journées de l’architecture en 2022 était “Architecture et Ressources” et celui de 2021 “Alternatives? Architecture!”… Des projets décidément engagés en faveur de l’économie circulaire!

Conclusion

L’émergence de la considération de l’économie circulaire en lien avec les activités de coopération culturelle transfrontalière se révèle prometteuse dans l’Union européenne, malgré les difficultés inhérentes à la coopération entre des espaces séparés par des frontières. 

D’une part, les structures de coopération transfrontalière ont tout intérêt à s’emparer de cette double ambition – culturelle et écologique – en tant que vecteur ou catalyseur d’autres coopérations stratégiques dans le cadre de démarches d’écologie industrielle territoriale (DEIT) transfrontalières adaptées à leurs contextes spécifiques. 

D’autre part, la promotion de cette réflexion au niveau trans-européen pourrait être portée par un acteur tiers tel que la Mission Opérationnelle Transfrontalière ou l’Association des Régions Frontalières Européennes, grâce à un projet pilote européen avec leurs membres par exemple, ou en l’incorporant à leurs palettes de services et de positions défendues en faveur d’espaces transfrontaliers toujours plus intégrés et durables. 

L’environnement et le développement culturel ne connaissent pas de frontières!

Dédicace

L’étymologie du mot « Ukraine » est « terre frontière » ou « région située à la frontière » en russe. Mes pensées vont à toutes les victimes de l’invasion.

Légende

Vassily Kandinsky, “Gelb-Rot-Blau”, 1925. Centre Georges Pompidou – Musée national d’art moderne; Paris. Domaine public. Photo de l’œuvre par Rafael Mandujano.

Ressources / Bibliographie

  • Charles RICQ, Manuel de la coopération transfrontalière, Édition 2006, Collection Démocratie locale et régionale, Conseil de l’Europe, 2006.
  • Birte WASSENBERG et Bernard REITEL, Critical dictionary on borders, cross-border cooperation and European integration, Bruxelles, Éd. Peter Lang, 2020, 886 pp. 
  • Comité francilien de l’économie circulaire, “Concilier création artistique et préservation des ressources”, ORÉE, Paris, Novembre 2021.
  • Mission Opérationnelle Transfrontalière, «Les territoires transfrontaliers. La fabrique de l’Europe», Novembre 2017.

Le Réseau «Femmes pour la Culture» s’est réuni à Saint-Domingue du 22 au 25 novembre 2017

La capitale de la République dominicaine a récemment accueilli la cinquième réunion internationale de ce réseau culturel d’Amérique Latine appelé en espagnol «Mujeres por la Cultura«. Cette édition –  la première à avoir lieu dans un pays des Caraïbes – a été organisée en collaboration avec le Ministère de la culture et le Ministère de la femme de la République dominicaine, le Festival culturel «Hermanas Mirabal» et la Fondation «Proyecta Cultura».

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Le but de cette rencontre était de promouvoir l’échange d’expériences qui rendent compte des apports de la femme à travers une optique culturelle et une perspective de genre. Il a aussi été question de promouvoir la formation et le développement professionnel des femmes dans le domaine culturel ainsi que dans celui de la prévention et l’élimination de toute forme de violence de genre. Plus particulièrement, les principes d’autonomisation des femmes proposés par l’UNIFEM et le Pacte mondial des Nations Unies ont constitué le substrat des réflexions.

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Le programme a proposé des conférences, des ateliers, des expositions et des visites d’études. Les participantes provenaient de divers pays, comme le Chili, le Mexique, l’Argentine, l’Équateur, la Colombie, le Pérou, l’Uruguay, le Brésil, Haïti, la République dominicaine, entre autres.

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La quatrième réunion du réseau, à Buenos Aires, s’est décidément inscrite dans le cadre du mouvement de protestation «Pas une seule femme en moins» (Ni una menos).

Mais… qui a peur du Réseau «Femmes pour la Culture»?

Si le titre de ce paragraphe évoque clairement une célèbre pièce de théâtre (et son adaptation au cinéma), il fait aussi allusion à la brillante exposition de l’Orangerie et du Musée d’Orsay «Qui a peur des femmes photographes?» qui a questionné en 2016 la participation des femmes dans l’histoire de la photographie, non pas sous l’angle d’une ‘vision féminine’, mais en termes de territoires des genres (physiques et symboliques) et de stratégies de succès (critique et commercial; d’élargissement des périmètres…). Ces axes de réflexion originaux et pertinents m’ont spécialement fait penser à ce réseau culturel latino-américain dont l’enthousiasme des participantes me semble particulièrement contagieux.

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Membres du Réseau «Mujeres x Cultura» réunies à Quito, Équateur en décembre 2015

Un réseau enthousiaste et enthousiasmant!

Le réseau est né dans le cadre du 9ème Campus Euroaméricain de Coopération Culturelle de Cuenca, Équateur, en 2012. De manière autonome, et au-delà des collaborations qui se sont développées entre les membres du réseau, des rencontres internationales ont déjà été organisées dans quatre pays différents:

  • 1ère édition à Santiago, Chili, en 2013
  • 2ème édition à Cuernavaca, Mexique, en 2014
  • 3ème édition à Quito, Équateur, en 2015
  • 4ème édition à Buenos Aires, Argentine, en 2016

En effet, avant la réunion en République dominicaine, leur conférence précédente a eu lieu au Centre culturel Recoleta de Buenos Aires du 14 au 17 décembre 2016, sous la forme d’une résidence. Une brève vidéo de la télévision publique argentine nous fait vivre l’atmosphère créative et de réflexion qui a régné à cette occasion.

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Diseño: Carolina Cavale – Cuore

«Mujeres x la Cultura» s’est donné pour objectifs principaux la reconnaissance et la consolidation du rôle de la femme dans le développement culturel, à travers des espaces d’échange d’expériences, de savoirs et d’immersion, pour la réflexion et le débat – tant individuels que communautaires – en incorporant les nouvelles perspectives des femmes latino-américaines.

«Nous sommes des femmes de couleurs très différentes. Nous ne pensons pas de la même manière. Nous ne sommes ni du même signe politique ni de la même religion. Nous ne sommes pas toutes mères ni femmes mariées. Certaines sont plus jeunes, certaines plus âgées. Nous sommes la diversité même et dans cette même diversité nous partageons et nous construisons».

J’ai eu le plaisir d’échanger à propos du réseau avec deux de ses membres qui sont très impliquées dans ses activités: Romina Bianchini (co-fondatrice) et Susana Salerno, toutes les deux activistes et expertes en politiques culturelles. Voici quelques éléments sur leur motivations pour contribuer au développement du réseau, tantôt présentés sous forme d’entretien, tantôt complétés à partir des comptes-rendus de leurs activités (traduits et adaptés, le cas échéant, par mes soins).

Un réseau de femmes… ?

Rafael Mandujano : «Je vais jouer à l’avocat du diable. Depuis une ‘perspective masculine’, pourquoi un ‘réseau de femmes‘ alors que nous vivons des temps où la transversalité, la diversité culturelle, les rencontres de cultures, entre autres, sont nos paradigmes? Bien sûr, j’ai déjà une idée de vos raisons, mais j’aimerais connaître vos idées à ce propos».

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Romina Bianchini : «Je pense que le réseau se base sur ces paradigmes-là. Ce n’est pas parce que c’est un réseau de femmes qu’il ne prend pas en compte la transversalité; de même, si à l’origine le réseau émerge à partir de la rencontre d’administratrices de projets culturels (gestoras culturales), il n’est pas exclusivement composé de cette catégorie professionnelle. Le réseau propose précisément la transversalité au niveau des âges, des connaissances, des savoirs-faire, des points de vue, et ainsi de suite, en vue d’un objectif commun: la visibilité du rôle de la femme dans le développement culturel. C’est aussi cela lorsque nous parlons de rencontre entre les cultures; dans ce réseau sont réunies des femmes indigènes (1) avec des femmes afro-américaines, des femmes rurales, des femmes urbaines, chacune avec ses initiatives propres et son propre parcours, provenant de ‘mondes différents’, et qui se réunissent afin de travailler ensemble pour le développement d’une communauté conçue par des femmes du secteur culturel. (…) Si tu me demandes pourquoi le réseau est né et si c’est seulement pour les femmes, nous disons que c’est une invitation ouverte, en dialogue, dans laquelle ‘les masculinités’ sont présentes: des hommes ont participé aux rencontres, et à diverses reprises nous avons co-produit avec ‘leur complicité’; il y a des administrateurs culturels qui soutiennent et mettent en valeur ce processus auquel tous ceux qui luttent pour l’équité et ‘l’empowerment’ des femmes doivent participer. Je souhaite mettre en valeur aussi la contribution ‘activiste’ de collègues et de familles qui, depuis d’autres situations (comme le champ privé), accompagnent notre participation dans le réseau, dans le cadre de nos rencontres autogérées et auto-déterminées qui nous emmènent à confluer lors de notre réunion annuelle ‘auto-convoquée’. Celle-ci nourrit notre développement professionnel et personnel, dans un espace conçu pour nous-mêmes par nous-mêmes (ndlr: au féminin en espagnol ‘por nosotras para nosotras’). C’est pour cela que le réseau est fondamentalement composé par des femmes, mais cela ne veut pas dire que ce soit ‘un ghetto’- cela est une condition première pour nous».

foto_susi_2Susana Salerno nous renseigne pour sa part sur l’origine du réseau: «Des femmes collègues, amies, camarades… nous trouvions que les meilleurs thèmes – ceux non traités dans les programmes officiels des congrès culturels – surgissaient et se débattaient horizontalement, dans le contexte des cafés et des espaces plus décontractés. C’est là que les échanges s’envolaient passionnément, que l’académique s’entrelaçait avec la vie quotidienne, que le savoir cohabitait avec la sagesse, sans appréhension ni étiquettes». Pour Susana, le réseau est «un manteau où s’abritent des femmes et des hommes qui veulent modifier les discours et les styles officialisés dans le domaine culturel».

Romina m’a également parlé de ce point de départ, et dont les conséquences se ressentent clairement dans ses commentaires précédents. Elle tient à rappeler certaines constatations sur la composition des panels des conférences, sur la manière d’aborder les thèmes… «Nous croyons à l’importance de construire nos narratives propres (…) en nous questionnant sur notre travail… est-ce qu’il y a une manière différente de gestion du point de vue des femmes (plus 360°, plus sensibles, plus intuitives, plus complexes?). Nous sommes convaincues du besoin de garantir l’équité des opportunités pour que les femmes puissent participer pleinement à la vie culturelle, et ce en tant que droit humain».

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Un réseau stimulant, au sens collectif, généreux

Rafael: Qu’est-ce qui vous excite le plus dans votre participation au réseau ?

Romina: «La construction collective, basée sur le respect, la reconnaissance, les liens personnels qui se tissent, dans le cadre d’un espace où nous nous rencontrons pour des ‘raisons professionnelles’ spécifiques du domaine culturel et dans le contexte de la situation des femmes au niveau mondial (…) C’est un espace où le politique et l’individuel vont de pair. Nous bâtissons une communauté de femmes, qui travaillent ensemble, en faveur des droits de toutes les femmes».

Susana: «Moi, ce qui m’enthousiasme le plus… c’est l’enthousiasme du réseau! C’est comme si nous étions de vieilles amies qui se retrouvent, et à chaque fois c’est nouveau, c’est généreux; personne n’est pas là pour briguer une chaire, on dit ce qu’on pense, on pose des questions, on partage, on visite. Cela me rend heureuse. Cela nous permet de prendre de l’air et de redémarrer (…), et nous incite à nous dépasser et à ne pas tomber dans des stéréotypes: ne pas préjuger, tête et corps disponibles pour recevoir, modifier, donner… nous participons à un voyage de découverte à chaque fois».

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Des conférences aux programmes riches, variés et ancrés sur de besoins concrets

En effet, un simple parcours d’un programme de leur rencontre annuelle permet de cerner l’ample portée de leurs ambitions.  Par exemple, celui de Quito qui apparaît sur leur site internet (en espagnol, cliquez sur l’image).

Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 1/2

Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 2/2

Rafael: Vous étiez intervenantes lors de la rencontre de Quito, est-ce que vous pourriez partager avec nous des idées sur le contenu de vos présentations qui vous semblent essentielles ?

Romina:  «A Quito, il m’a semblé très important de proposer une présentation qui donne matière à controverse, sur les mauvaises féministes, c’est à dire, en reconnaissant nos contradictions; il faut être conscient que ces contradictions se déroulent dans la réalité et qu’elles vont au-delà du niveau personnel. Cela nous demande de nous engager pour le développement de stratégies créatives, sensibles, liées à la lutte pour l’équité et contre les violences, les abus et les sexismes, dont nous souffrons quotidiennement, et qui dépassent nos situations personnelles. Cette réalité historique et universelle doit nous retrouver unies et actives si nous ambitionnons un changement culturel; un changement de paradigme que nous considérons prioritaire, en tant que femmes, et ce à partir du secteur culturel. Après avoir expliqué ce cadre général, ma présentation s’est focalisée sur l’analyse de la situation des femmes à l’intérieur du secteur culturel et sur le nécessaire travail en réseau pour faire face à cette situation».

Susana: «Pour ma part, j’ai décidé de participer en organisant un atelier (cela fait déjà deux éditions). Depuis des années, je souhaitais mettre en mouvement les administrateurs de projets culturels (…) et j’ai trouvé une technique théâtrale, la méthode des actions physiques, qui m’a semblé pertinente pour ce faire. Je dois ajouter que mon idée de départ a évolué à partir de sa mise en pratique, notamment lors des événements des «43 disparus» au Mexique. En effet, j’ai guidé cet atelier juste quelques jours après ces faits, et alors que sur nos têtes survolaient des hélicoptères, nous nous sommes retrouvés à réagir viscéralement en dansant, telle une rencontre ancestrale. Cela a été une révélation, la technique prenait là une tout autre dimension. Pour l’anecdote, j’ai souhaité changer le nom de l’atelier pour qu’il s’appelle ‘Taller de Amorosidad‘ (jeu de mots intraduisible avec ‘amour’, ‘a-morosité’…) mais on lui préfère le nom plus formel ‘Méthode des actions physiques pour la gestion culturelle'».

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Susana Salerno avec Felipe Mella et Rafael Mandujano lors du Campus euroaméricain de coopération culturelle à Las Palmas de Gran Canaria, décembre 2010.

Les étapes suivantes de la vie du réseau

RafaelQuelles sont les prochaines activités du réseau, à court et moyen terme?

En plus de la rencontre internationale du 14 au 17 décembre 2016 à Buenos Aires, Romina signale que «nous soutenons des projets locaux et des initiatives des membres du réseau qui favorisent l’articulation entre les participants, par exemple à travers les réunions ‘Féminas’ (en Argentine, au Chili) où les projets lient les femmes et leurs territoires. Nous faisons également des dynamiques 2.0 à travers les réseaux sociaux, pour développer des campagnes sur les droits des femmes. Nous avons un projet portant sur des ateliers de formation en matière du genre dans le domaine des politiques publiques de la culture, et de sensibilisation sur les droits culturels des femmes. Nous souhaitons aussi lancer des projets de recherche sur la relation des femmes et le patrimoine (thème de la dernière rencontre). Et nous abordons activement la production collaborative de la prochaine conférence; nous avons décidé de développer des liens avec d’autres réseaux de femmes et d’inciter la participation d’organisations dans le domaine de la coopération.»

enthousiasme

Visiblement, le réseau «Mujeres x la Cultura» n’a pas, quant à lui, peur de porter de hautes ambitions! Parmi de nombreux réseaux culturels, il fait preuve de pertinence et d’énergie partagée. Je suis sûr que dans les années à venir le réseau continuera à connaître un grand succès!

Le réseau a une page Facebook que je vous recommande – très active notamment lors de leurs rencontres. Si vous comprenez l’espagnol, n’hésitez pas à visiter le site ‘Mujeres x Cultura‘ pour plus d’information.

1: Indigènes: Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée (http://www.cnrtl.fr/definition/indigène)

Biographies

Romina Bianchini (Argentine)

romi_profile_arts_summitEn 2003, Romina a créé la plate-forme internationale d’administrateurs culturels “Proyecta Cultura”. Romina est coordinatrice du Réseau d’Art Urbain ‘Neural’ depuis 2011. Elle travaille actuellement au Centre Culturel Recoleta, à  Buenos Aires,  au sein du département des contenus.Activiste des droits de l’homme, Romina a travaillé depuis 2004 en tant qu’éducatrice dans le cadre d’ateliers sur les droits culturels dans plusieurs communautés à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes. Elle est spécialiste dans le domaine de la création et de l’administration de réseaux culturels internationaux pour la coopération au développement, et elle est consultante indépendante dans le domaine culturel depuis plus de 16 ans. Elle est aussi intervenante à l’Université National de La Plata (Diplôme technique de musique populaire).

Récemment, Romina a été intervenante lors du 7ème Sommet Mondial des Arts et de la Culture, à La Vallette, Malte, en octobre 2016.

Susana Salerno (Argentine)

foto_susi_fbActrice, productrice et administratrice culturelle. Au-delà d’un longue expérience dans le domaine du théâtre et du cinéma en tant qu’actrice, Susana a aussi une riche carrière en matière des politiques culturelles et de la coopération (coordinatrice des relations publiques et de la coopération internationale au sein du Ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires).

Elle a organisé les rencontres des Coalitions pour la diversité culturelle à Buenos Aires en vue de la préparation de la Convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO.

Susana a participé à de nombreux colloques, séminaires, festivals et congrès internationaux. Elle a aussi préparé et géré le projet ‘L’art contre la discrimination’ pour l’INADI. Elle développe des ateliers pratiques basés sur des techniques théâtrales. Susana travaille actuellement pour la télévision publique argentine.

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Rafael Tovar y de Teresa – disparition d’une figure emblématique des politiques culturelles au Mexique

Le 10 décembre dernier, le Secrétaire Fédéral de la Culture, Rafael Tovar y de Teresa est décédé à Mexico. Sa trajectoire a été intimement liée aux politiques culturelles dans le pays pendant plus de trente ans. Il ne serait peut-être pas excessif de comparer sa figure à celle d’un ‘Jack Lang mexicain’.

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Le Ministre de la Culture du Chili, Ernesto Ottone, rendant visite à Rafael Tovar y de Teresa, alors Président du Conseil National pour la Culture et les Arts du Mexique (à droite) en août 2015. Source: site du Gouvernement du Mexique

‘L’homme qui a agrandi la Culture au Mexique’

C’est le titre de l’article que l’écrivain mexicain Jorge Volpi publiait au journal El País le lendemain du décès de ce diplomate, historien, avocat, mais surtout fonctionnaire culturel qui a consacré sa vie à l’évolution des institutions culturelles et des programmes de développement artistique.

Volpi évoque en guise d’introduction le contexte de l’action de Tovar y de Teresa : «En important et variant le modèle français depuis les temps révolutionnaires (mexicains), l’État mexicain a assumé un rôle crucial dans la promotion et la diffusion des arts et dans le soutien pour les artistes. Et, même si à diverses reprises la relation entre les intellectuels et les artistes avec le gouvernement a traversé un équilibre délicat voire pervers, lors des dernières décennies nous avons atteint une indépendance institutionnelle remarquable. En témoigne l’infrastructure culturelle la plus vaste d’Amérique Latine et un exceptionnel système de soutien à la création artistique au niveau mondial».

Volpi souligne ensuite la contribution fondamentale de Tovar y de Teresa lors de ses différents mandats à la tête d’organismes du gouvernement mexicain, notamment en tant que :

  • directeur de l’Institut National des Beaux Arts (INBA) de 1991 à 1992
  • président du Conseil National pour la Culture et les Arts (Conaculta) pendant presque treize ans, de 1992 à 2000 plus une nouvelle fois de 2012 à 2015, et
  • premier Secrétaire Fédéral de la Culture au Mexique de 2015 jusqu’à sa mort récente.

Historiquement, le Mexique n’a jamais eu de Ministère de la Culture à proprement parler. Pendant très longtemps il y a eu un grand nombre d’institutions culturelles liées à l’État dans tous les domaines – de l’archéologie aux beaux-arts – qui coexistaient.  La création en 1988 du Conseil National pour la Culture et les Arts (Conaculta), durant le gouvernement du Président Salinas de Gortari, a été un jalon dans le sens d’une meilleure articulation entre elles et le gouvernement. Tovar y de Teresa a été nommé son deuxième président en 1992 et depuis cette position, il a fait preuve d’ambition en termes d’objectifs et de résultats. Il a créé entre autres le « Système national de créateurs d’art », le « Fonds national pour la Culture et les arts » (FONCA), le « Programme de soutien à l’infrastructure culturelle dans les états » (PAICE), la chaîne culturelle « Canal 22 » (télévision), le « Centre National pour les Arts » (CENART) à Mexico… entre autres. Au cours des dernières années, afin de rendre tout cet ensemble plus cohérent et efficace, il a proposé au Président Peña Nieto la création de la « Secretaría de Cultura », ce qui correspond à un Secrétariat d’État pour la Culture au niveau fédéral, lié au pouvoir exécutif. Le Président Peña Nieto a non seulement accepté ce projet qui a pour but de donner un cadre juridique et administratif actualisé aux politiques culturelles nationales, doté d’un budget de 800 millions de dollars, mais il a aussi nommé Rafael Tovar y de Teresa en tant que le premier Secrétaire Fédéral de la Culture, équivalent d’un vrai Ministre de la Culture, sans aucun doute en reconnaissance à tout le travail accompli en faveur d’un pays qui compte le sixième patrimoine culturel au niveau mondial (quatrième en matière de documents), 1.200 musées et 22.000 bibliothèques…

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En plus d’évoquer le fonctionnaire dans le domaine culturel, Volpi rappelle le grand mélomane et lecteur vorace que Tovar y de Teresa était. En matière musicale, le violoncelliste mexicain Carlos Prieto a par exemple parlé de sa collection de musique classique, «certainement la plus grande et complète du Mexique». Sa vaste culture et une personnalité curieuse dotée d’une facilité pour l’art de la conversation lui permettaient d’aborder les sujets les plus variés, de l’art contemporain aux discussions syndicales, et il a toujours mérité la reconnaissance de la part de ses interlocuteurs selon de nombreux témoins. Ceci peut se lier facilement à son caractère diplomate, et dans ce domaine, il a occupé plusieurs postes, en tant qu’Ambassadeur du Mexique en Italie de 2001 à 2007 ou ministre chargé de la culture auprès de l’Ambassade du Mexique en France de 1983 à 1987, et d’autres fonctions liées à la culture au sein du Ministère des affaires étrangères du Mexique. De Tovar y de Teresa a d’ailleurs fait des études supérieures en France, à la Sorbonne et à l’école de Sciences Politiques de Paris.

En tant qu’écrivain, dans le domaine des politiques culturelles, la maison d’édition mexicaine «Fondo de Cultura Económica» a publié en 1994 son livre «Modernización y política cultural» (modernisation et politique culturelle). Mais il a surtout consacré son travail d’historien et d’écrivain autour de la vie et de l’époque du dictateur mexicain Porfirio Díaz (Oaxaca, Mexique 1830 – Paris, France 1915). Il a publié en relation avec celui-ci:

  • «Paraíso es tu memoria», éd. Alfaguara, en 2009
  • «El último brindis de Don Porfirio», éd. Taurus, en 2010
  • «De la paz al olvido. Porfirio Díaz y el final de un mundo», éd. Taurus, en 2015

En outre, son compte Twitter était très actif et montrait un échantillon intéressant de l’actualité culturelle du pays.

Rafael Tovar y de Teresa a reçu un hommage national lundi 12 décembre, au Centre National des Arts à Mexico, en présence du Président Peña Nieto (qui a adressé un message solennel de reconnaissance), des plus hauts représentants des pouvoirs législatif et judiciaire, de sa famille et d’une grande diversité de personnalités de tous les domaines de la vie culturelle mexicaine. Le ruban noir de deuil apparaît sur de nombreux sites du gouvernement mexicain, ainsi que sur de nombreuses photos de profil de ses collaborateurs et de ses amis.

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Qui a peur du Réseau «Femmes pour la Culture»?

Si le titre de ce billet évoque clairement une célèbre pièce de théâtre (et son adaptation au cinéma), il fait aussi allusion à la brillante exposition de l’Orangerie et du Musée d’Orsay «Qui a peur des femmes photographes?» qui a questionné la participation des femmes dans l’histoire de la photographie, non pas sous l’angle d’une ‘vision féminine’, mais en termes de territoires des genres (physiques et symboliques) et de stratégies de succès (critique et commercial; d’élargissement des périmètres…). Ces axes de réflexion originaux et pertinents m’ont spécialement fait penser à un réseau culturel d’Amérique Latine appelé «Mujeres por la Cultura«, femmes pour la culture, dont l’enthousiasme des participantes me semble particulièrement contagieux.

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Membres du Réseau «Mujeres x Cultura» réunies à Quito, Équateur en décembre 2015

Un réseau enthousiaste et enthousiasmant!

Le réseau est né dans le cadre du 9ème Campus Euroaméricain de Coopération Culturelle de Cuenca, Équateur, en 2012. De manière autonome, et au-delà des collaborations qui se sont développées entre les membres du réseau, des rencontres internationales ont déjà été organisées dans quatre pays différents:

  • 1ère édition à Santiago, Chili, en 2013
  • 2ème édition à Cuernavaca, Mexique, en 2014
  • 3ème édition à Quito, Équateur, en 2015
  • 4ème édition à Buenos Aires, Argentine, en 2016

La plus récente édition a eu lieu au Centre culturel Recoleta de Buenos Aires du 14 au 17 décembre 2016, sous la forme d’une résidence.

«Mujeres x la Cultura» s’est donné pour objectifs principaux la reconnaissance et la consolidation du rôle de la femme dans le développement culturel, à travers des espaces d’échange d’expériences, de savoirs et d’immersion, pour la réflexion et le débat – tant individuels que communautaires – en incorporant les nouvelles perspectives des femmes latino-américaines.

«Nous sommes des femmes de couleurs très différentes. Nous ne pensons pas de la même manière. Nous ne sommes ni du même signe politique ni de la même religion. Nous ne sommes pas toutes mères ni femmes mariées. Certaines sont plus jeunes, certaines plus âgées. Nous sommes la diversité même et dans cette même diversité nous partageons et nous construisons».

J’ai eu le plaisir d’échanger à propos du réseau avec deux de ses membres qui sont très impliquées dans ses activités: Romina Bianchini (co-fondatrice) et Susana Salerno, toutes les deux activistes et expertes en politiques culturelles. Voici quelques éléments sur leur motivations pour contribuer au développement du réseau, tantôt présentés sous forme d’entretien, tantôt complétés à partir des comptes-rendus de leurs activités (traduits et adaptés, le cas échéant, par mes soins).

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Diseño: Carolina Cavale – Cuore

Un réseau de femmes… ?

Rafael Mandujano : «Je vais jouer à l’avocat du diable. Depuis une ‘perspective masculine’, pourquoi un ‘réseau de femmes‘ alors que nous vivons des temps où la transversalité, la diversité culturelle, les rencontres de cultures, entre autres, sont nos paradigmes? Bien sûr, j’ai déjà une idée de vos raisons, mais j’aimerais connaître vos idées à ce propos».

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Romina Bianchini : «Je pense que le réseau se base sur ces paradigmes-là. Ce n’est pas parce que c’est un réseau de femmes qu’il ne prend pas en compte la transversalité; de même, si à l’origine le réseau émerge à partir de la rencontre d’administratrices de projets culturels (gestoras culturales), il n’est pas exclusivement composé de cette catégorie professionnelle. Le réseau propose précisément la transversalité au niveau des âges, des connaissances, des savoirs-faire, des points de vue, et ainsi de suite, en vue d’un objectif commun: la visibilité du rôle de la femme dans le développement culturel. C’est aussi cela lorsque nous parlons de rencontre entre les cultures; dans ce réseau sont réunies des femmes indigènes (1) avec des femmes afro-américaines, des femmes rurales, des femmes urbaines, chacune avec ses initiatives propres et son propre parcours, provenant de ‘mondes différents’, et qui se réunissent afin de travailler ensemble pour le développement d’une communauté conçue par des femmes du secteur culturel. (…) Si tu me demandes pourquoi le réseau est né et si c’est seulement pour les femmes, nous disons que c’est une invitation ouverte, en dialogue, dans laquelle ‘les masculinités’ sont présentes: des hommes ont participé aux rencontres, et à diverses reprises nous avons co-produit avec ‘leur complicité’; il y a des administrateurs culturels qui soutiennent et mettent en valeur ce processus auquel tous ceux qui luttent pour l’équité et ‘l’empowerment’ des femmes doivent participer. Je souhaite mettre en valeur aussi la contribution ‘activiste’ de collègues et de familles qui, depuis d’autres situations (comme le champ privé), accompagnent notre participation dans le réseau, dans le cadre de nos rencontres autogérées et auto-déterminées qui nous emmènent à confluer lors de notre réunion annuelle ‘auto-convoquée’. Celle-ci nourrit notre développement professionnel et personnel, dans un espace conçu pour nous-mêmes par nous-mêmes (ndlr: au féminin en espagnol ‘por nosotras para nosotras’). C’est pour cela que le réseau est fondamentalement composé par des femmes, mais cela ne veut pas dire que ce soit ‘un ghetto’- cela est une condition première pour nous».

foto_susi_2Susana Salerno nous renseigne pour sa part sur l’origine du réseau: «Des femmes collègues, amies, camarades… nous trouvions que les meilleurs thèmes – ceux non traités dans les programmes officiels des congrès culturels – surgissaient et se débattaient horizontalement, dans le contexte des cafés et des espaces plus décontractés. C’est là que les échanges s’envolaient passionnément, que l’académique s’entrelaçait avec la vie quotidienne, que le savoir cohabitait avec la sagesse, sans appréhension ni étiquettes». Pour Susana, le réseau est «un manteau où s’abritent des femmes et des hommes qui veulent modifier les discours et les styles officialisés dans le domaine culturel».

Romina m’a également parlé de ce point de départ, et dont les conséquences se ressentent clairement dans ses commentaires précédents. Elle tient à rappeler certaines constatations sur la composition des panels des conférences, sur la manière d’aborder les thèmes… «Nous croyons à l’importance de construire nos narratives propres (…) en nous questionnant sur notre travail… est-ce qu’il y a une manière différente de gestion du point de vue des femmes (plus 360°, plus sensibles, plus intuitives, plus complexes?). Nous sommes convaincues du besoin de garantir l’équité des opportunités pour que les femmes puissent participer pleinement à la vie culturelle, et ce en tant que droit humain».

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Un réseau stimulant, au sens collectif, généreux

Rafael: Qu’est-ce qui vous excite le plus dans votre participation au réseau ?

Romina: «La construction collective, basée sur le respect, la reconnaissance, les liens personnels qui se tissent, dans le cadre d’un espace où nous nous rencontrons pour des ‘raisons professionnelles’ spécifiques du domaine culturel et dans le contexte de la situation des femmes au niveau mondial (…) C’est un espace où le politique et l’individuel vont de pair. Nous bâtissons une communauté de femmes, qui travaillent ensemble, en faveur des droits de toutes les femmes».

Susana: «Moi, ce qui m’enthousiasme le plus… c’est l’enthousiasme du réseau! C’est comme si nous étions de vieilles amies qui se retrouvent, et à chaque fois c’est nouveau, c’est généreux; personne n’est pas là pour briguer une chaire, on dit ce qu’on pense, on pose des questions, on partage, on visite. Cela me rend heureuse. Cela nous permet de prendre de l’air et de redémarrer (…), et nous incite à nous dépasser et à ne pas tomber dans des stéréotypes: ne pas préjuger, tête et corps disponibles pour recevoir, modifier, donner… nous participons à un voyage de découverte à chaque fois».

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Des conférences aux programmes riches, variés et ancrés sur de besoins concrets

En effet, un simple parcours d’un programme de leur rencontre annuelle permet de cerner l’ample portée de leurs ambitions.  Par exemple, celui de Quito qui apparaît sur leur site internet (en espagnol, cliquez sur l’image).

Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 1/2

Programación III Encuentro Internacional Mujeres X la Cultura V
Quito 2015, Programme, 2/2

Rafael: Vous étiez intervenantes lors de la rencontre de Quito, est-ce que vous pourriez partager avec nous des idées sur le contenu de vos présentations qui vous semblent essentielles ?

Romina:  «A Quito, il m’a semblé très important de proposer une présentation qui donne matière à controverse, sur les mauvaises féministes, c’est à dire, en reconnaissant nos contradictions; il faut être conscient que ces contradictions se déroulent dans la réalité et qu’elles vont au-delà du niveau personnel. Cela nous demande de nous engager pour le développement de stratégies créatives, sensibles, liées à la lutte pour l’équité et contre les violences, les abus et les sexismes, dont nous souffrons quotidiennement, et qui dépassent nos situations personnelles. Cette réalité historique et universelle doit nous retrouver unies et actives si nous ambitionnons un changement culturel; un changement de paradigme que nous considérons prioritaire, en tant que femmes, et ce à partir du secteur culturel. Après avoir expliqué ce cadre général, ma présentation s’est focalisée sur l’analyse de la situation des femmes à l’intérieur du secteur culturel et sur le nécessaire travail en réseau pour faire face à cette situation».

Susana: «Pour ma part, j’ai décidé de participer en organisant un atelier (cela fait déjà deux éditions). Depuis des années, je souhaitais mettre en mouvement les administrateurs de projets culturels (…) et j’ai trouvé une technique théâtrale, la méthode des actions physiques, qui m’a semblé pertinente pour ce faire. Je dois ajouter que mon idée de départ a évolué à partir de sa mise en pratique, notamment lors des événements des «43 disparus» au Mexique. En effet, j’ai guidé cet atelier juste quelques jours après ces faits, et alors que sur nos têtes survolaient des hélicoptères, nous nous sommes retrouvés à réagir viscéralement en dansant, telle une rencontre ancestrale. Cela a été une révélation, la technique prenait là une tout autre dimension. Pour l’anecdote, j’ai souhaité changer le nom de l’atelier pour qu’il s’appelle ‘Taller de Amorosidad’ (jeu de mots intraduisible avec ‘amour’, ‘a-morosité’…) mais on lui préfère le nom plus formel ‘Méthode des actions physiques pour la gestion culturelle'».

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Susana Salerno avec Felipe Mella et Rafael Mandujano lors du Campus euroaméricain de coopération culturelle à Las Palmas de Gran Canaria, décembre 2010.

Les étapes suivantes de la vie du réseau

RafaelQuelles sont les prochaines activités du réseau, à court et moyen terme?

En plus de la toute récente édition de la rencontre internationale du 14 au 17 décembre 2016 à Buenos Aires, Romina signale que «nous soutenons des projets locaux et des initiatives des membres du réseau qui favorisent l’articulation entre les participants, par exemple à travers les réunions ‘Féminas’ (en Argentine, au Chili) où les projets lient les femmes et leurs territoires. Nous faisons également des dynamiques 2.0 à travers les réseaux sociaux, pour développer des campagnes sur les droits des femmes. Nous avons un projet portant sur des ateliers de formation en matière du genre dans le domaine des politiques publiques de la culture, et de sensibilisation sur les droits culturels des femmes. Nous souhaitons aussi lancer des projets de recherche sur la relation des femmes et le patrimoine (thème de la dernière rencontre). Et nous abordons activement la production collaborative de la prochaine conférence; nous avons décidé de développer des liens avec d’autres réseaux de femmes et d’inciter la participation d’organisations dans le domaine de la coopération.»

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Visiblement, le réseau «Mujeres x la Cultura» n’a pas, quant à lui, peur de porter de hautes ambitions! Parmi de nombreux réseaux culturels, il fait preuve de pertinence et d’énergie partagée. Je suis sûr que dans les années à venir le réseau continuera à connaître un grand succès.

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Le réseau a une page Facebook que je vous recommande – très active notamment lors de leurs rencontres. Si vous comprenez l’espagnol, n’hésitez pas à visiter le site ‘Mujeres x Cultura‘ pour plus d’information.

1: Indigènes: Personne native du pays où elle vit et où ses ascendants ont vécu depuis une époque reculée (http://www.cnrtl.fr/definition/indigène)

Biographies

Romina Bianchini (Argentine)

romi_profile_arts_summitEn 2003, Romina a créé la plate-forme internationale d’administrateurs culturels “Proyecta Cultura”. Romina est coordinatrice du Réseau d’Art Urbain ‘Neural’ depuis 2011. Elle travaille actuellement au Centre Culturel Recoleta, à  Buenos Aires,  au sein du département des contenus.Activiste des droits de l’homme, Romina a travaillé depuis 2004 en tant qu’éducatrice dans le cadre d’ateliers sur les droits culturels dans plusieurs communautés à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes. Elle est spécialiste dans le domaine de la création et de l’administration de réseaux culturels internationaux pour la coopération au développement, et elle est consultante indépendante dans le domaine culturel depuis plus de 16 ans. Elle est aussi intervenante à l’Université National de La Plata (Diplôme technique de musique populaire).

Récemment, Romina a été intervenante lors du 7ème Sommet Mondial des Arts et de la Culture, à La Vallette, Malte, en octobre 2016.

Susana Salerno (Argentine)

foto_susi_fbActrice, productrice et administratrice culturelle. Au-delà d’un longue expérience dans le domaine du théâtre et du cinéma en tant qu’actrice, Susana a aussi une riche carrière en matière des politiques culturelles et de la coopération (coordinatrice des relations publiques et de la coopération internationale au sein du Ministère de la Culture de la Ville autonome de Buenos Aires).

Elle a organisé les rencontres des Coalitions pour la diversité culturelle à Buenos Aires en vue de la préparation de la Convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO.

Susana a participé à de nombreux colloques, séminaires, festivals et congrès internationaux. Elle a aussi préparé et géré le projet ‘L’art contre la discrimination’ pour l’INADI. Elle développe des ateliers pratiques basés sur des techniques théâtrales. Susana travaille actuellement pour la télévision publique argentine.